Projet de loi C-29, grève au port de Montréal : Pourquoi le gouvernement a-t-il attendu la crise qu’il savait pouvoir se produire avant d’intervenir?

Le 30 avril 2021 (Ottawa, ON) – L’honorable Don Plett, leader de l’opposition au Sénat, a émis la déclaration suivante :

Honorables sénateurs, je tiens moi aussi à participer au débat et je serai bref.

Je dirais que la principale émotion que je ressens aujourd’hui à l’égard du projet de loi est le découragement. Je suis découragé parce que, au milieu d’une pandémie mondiale qui a causé tant de difficultés à tant de Canadiens, nous sommes obligés de nous attaquer à un problème qui aurait pu — et aurait dû — être évité.

Il ne fait aucun doute que la situation au port de Montréal nuira non seulement au port lui-même et aux personnes qui y travaillent, mais aussi à l’ensemble des personnes et des entreprises qui en dépendent ainsi qu’à l’économie du Québec, voire de tout le Canada.

J’estime toutefois que la situation aurait pu être évitée. En ce sens, je suis découragé que le gouvernement ne semble pas savoir ce que signifie l’expression « régler un problème de manière proactive ».

Je dis cela parce que ce conflit sévit au port de Montréal depuis plusieurs années, que la négociation collective est en cours depuis septembre 2018 et qu’il y a eu des arrêts de travail l’année dernière pendant les premiers mois de la pandémie. Pourtant, le gouvernement n’a aucunement réussi à maîtriser la situation et à prévenir le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, soit une grève extrêmement dommageable pour toutes les parties concernées.

À chaque étape, le gouvernement a réagi aux événements au fur et à mesure qu’ils se produisaient. Bien entendu, il a nommé des conciliateurs et des médiateurs sur une période de deux ans et demi. Ces médiateurs et conciliateurs ont travaillé avec le syndicat et l’employeur et facilité plus de 100 séances de négociation par médiation.

Cependant, avant le récent arrêt de travail, le syndicat avait quand même organisé cinq grèves distinctes, dont une grève générale illimitée de 11 jours en août 2020. Toutes ces pressions syndicales et la médiation ont eu peu d’effet sur la négociation et sur les démarches visant à trouver une solution. Pourtant, le gouvernement ne s’est pas rendu compte de l’insolubilité du problème et de la nécessité de le régler en pleine pandémie mondiale, alors qu’il était vital de maintenir le plus possible le commerce et l’approvisionnement en fournitures essentielles.

Chers collègues, cet après-midi, j’ai demandé à la ministre si elle avait parlé de la situation avec le premier ministre, qui est député d’une circonscription de Montréal, la ville la plus touchée par cette crise, et je lui ai demandé ce que ce dernier avait fait à ce sujet. Elle n’avait pas de réponse pour moi. Le premier ministre est resté les bras croisés au lieu d’agir proactivement et énergiquement pour résoudre le problème. Par conséquent, aucune action décisive n’a été prise pour éviter les importants arrêts de travail qui se produisent actuellement.

Quelles sont certaines des conséquences de cette inaction? On en a déjà parlé, mais laissez-moi en répéter quelques-unes.

De façon plus immédiate, la grève générale illimitée qui a commencé le 26 avril a interrompu la circulation de 270 millions de dollars de marchandises chaque semaine. La grève menace directement le gagne-pain d’environ 19 000 Canadiens, dont le travail dépend du port. La grève cause des dommages à l’économie canadienne d’une valeur d’environ 40 à 100 millions de dollars par semaine. Plus la grève durera longtemps, plus il y aura de dommages, et pourtant, des sénateurs disent qu’ils n’appuieront pas la mesure législative et qu’ils laisseront ce genre de problèmes économiques coûteux perdurer.

Essentiellement, le problème que nous avons actuellement est que les perturbations économiques causées par la grève sont tellement importantes que, même quand cette dernière sera terminée, la reprise prendra sans doute beaucoup de temps.

Nous savons que l’arrêt de travail de l’an dernier a coûté 600 millions de dollars aux Canadiens. Le volume d’affaires qui passait par le port de Montréal a chuté de près de 10 %. Selon des fonctionnaires qui ont offert une séance d’information aux sénateurs cette semaine, ces pertes pourraient être permanentes, puisque de nombreuses entreprises font désormais passer leurs marchandises par des ports de la côte Est des États-Unis plutôt que par Montréal. C’est donc dire que les pertes permanentes subies l’an dernier risquent probablement de s’aggraver.

Selon un article paru récemment dans le Financial Post, la grève affaiblit encore la crédibilité du Canada à titre de pays manufacturier concurrentiel et doté d’une infrastructure commerciale fiable. L’an dernier, il a fallu trois mois pour rattraper les retards causés par l’arrêt de travail et les perturbations qu’il a entraînées.

Je n’ai pas besoin d’expliquer aux sénateurs les conséquences d’un tel retard dans certains secteurs, comme le secteur agricole. Le port de Montréal traite chaque année près de 900 millions de dollars de produits agricoles conteneurisés. Les producteurs agricoles canadiens savaient très bien que, si l’accès à ce port essentiel était interrompu, les conséquences seraient dévastatrices.

Voici un exemple. Des milliers de tonnes d’engrais importés, dont les agriculteurs ont besoin, passent par le port de Montréal. Des parlementaires de la Chambre des communes ont souligné que, si cette grève se poursuit, jusqu’à un million d’acres de terres de l’Est canadien risquent de ne pas être fertilisées.

Les sérieuses préoccupations concernant la fermeture possible du port de Montréal ont été soulevées à la Chambre par les députés conservateurs, pas plus tard que le mois dernier. Il ne fait donc aucun doute que le gouvernement était au courant du problème. Pourtant, aucune mesure concrète n’a été prise, malgré les arrêts de travail qui ont eu lieu au port l’an dernier.

Dans l’énoncé concernant la Charte que le gouvernement a lui-même produit au sujet du projet de loi, celui-ci soutient que le projet de loi est justifié parce que « la reprise et le maintien des activités portuaires sont importants pour l’ensemble de l’économie canadienne ».

Dans l’énoncé, on affirme :

Le projet de loi empêcherait des préjudices économiques persistants et importants aux entreprises canadiennes, aux employés et à ceux qui dépendent de leurs services.

On y ajoute que « ces préjudices sont aggravés par la pandémie de Covid-19 [...] » et que « de grandes entreprises ont commencé à détourner des marchandises du port [...] »

Tous ces motifs juridiques pour le projet de loi étaient présents et apparents bien avant la grève actuelle. Ils étaient manifestes durant la grève de l’an dernier, qui est survenue également durant la pandémie. Et pourtant, le gouvernement semble avoir été vaincu par l’inertie. Il aurait pu au moins redoubler ses efforts de médiation auprès des deux parties. Il aurait dû s’impliquer beaucoup plus activement et se montrer résolu à ne pas laisser la situation se détériorer au point d’en arriver à un arrêt de travail. Les ministres eux-mêmes auraient dû s’impliquer directement.

Tous les sénateurs dans cette enceinte appuient sans réserve le droit à la négociation collective. Cependant, le gouvernement a aussi comme devoir fondamental de protéger l’économie et l’ensemble des travailleurs et des entreprises du pays pendant la période des plus exceptionnelles que nous vivons actuellement.

La Cour suprême du Canada a elle-même établi que le droit d’association peut être limité quand il est question de services essentiels. Ces limites peuvent être particulièrement nécessaires dans des situations « d’une urgence nationale extrême, mais seulement pendant une période limitée ».

Je crois que peu de gens diraient que la situation actuelle n’est pas d’une urgence nationale extrême. Ce qui m’inquiète énormément, c’est que la façon dont le gouvernement est en train de gérer la crise qui touche actuellement le port de Montréal ressemble à l’approche qu’il adopte de façon générale à l’égard d’un grand nombre de problèmes découlant de la pandémie mondiale. Le gouvernement réagit constamment aux événements à mesure qu’ils se produisent. On pouvait peut-être le lui pardonner pendant les premières semaines de la crise, mais c’est complètement injustifiable maintenant.

Depuis le début de la crise, le gouvernement a rarement pris des mesures proactives qui lui auraient permis de prendre de l’avance. Je pense que c’est pour cela que la plupart des Canadiens ne sont toujours pas vaccinés et que le gouvernement tente essentiellement de régler ces problèmes en empruntant et en dépensant le plus d’argent possible.

Au sujet de la grève au port de Montréal, tout ce que le gouvernement peut faire maintenant, c’est de tenter désespérément de fermer la porte de l’écurie après que le cheval s’est enfui. Le gouvernement a affirmé que le projet de loi permettrait de mettre un frein aux dommages causés à l’économie du Canada, qui est déjà fragilisée en raison de la pandémie de COVID-19.

Sauf que la réalité, honorables collègues, c’est que le mal est déjà fait. Tout ce que le gouvernement peut faire maintenant, c’est de tenter de limiter les dommages.

Le gouvernement a dit que la solution proposée dans le projet de loi fournira au syndicat et à l’employeur un processus neutre pour enfin résoudre le conflit qui les oppose depuis plusieurs années et établir une nouvelle convention collective équitable.

Pourquoi donc le gouvernement a-t-il attendu la crise actuelle pour prendre une telle mesure? Au sujet de la crise au port de Montréal, Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, a dit ce qui suit :

La crainte d’une deuxième grève en sept mois a perturbé les chaînes d’approvisionnement de l’ensemble des secteurs d’activité et entravé la relance économique du Canada en cette période de grave récession.

Nous pressons tous les membres du Parlement d’adopter rapidement le projet de loi afin de prévenir les lourdes conséquences d’une grève sur la situation de l’emploi et sur la relance économique du Canada.

Honorables collègues, je suis aussi d’avis qu’il faut agir. Je voterai également pour ce projet de loi. J’aurais simplement voulu qu’une telle mesure soit prise beaucoup plus tôt. Merci, honorables collègues.

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