Le sénateur Plett intervient sur le projet de loi C-3, encourage les sénateurs à appuyer l’amendement du sénateur Boisvenu

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de l’amendement proposé par le sénateur Boisvenu. Je veux remercier le sénateur d’avoir proposé cet amendent et remercier la sénatrice Batters du discours qu’elle a prononcé aujourd’hui.

La plupart des gens ici savent bien que j’ai quelques inquiétudes concernant ce projet de loi. Je ne partage pas entièrement les opinions exprimées par le sénateur Boisvenu et par la sénatrice Batters dans le cadre du débat au sujet du projet de loi C-3, mais je suis d’accord avec eux sur le fond. Le projet de loi à l’étude m’inquiète, comme m’ont inquiété ses précédentes moutures. Comme je l’ai dit, ce n’est pas que je n’appuie pas l’intention derrière cette initiative. Je crois que le système judiciaire doit fonctionner de façon à soutenir les victimes de violence sexuelle et à les inciter à porter plainte. Nous avons tous été choqués par les commentaires tout simplement épouvantables et clairement fondés sur des stéréotypes et sur l’ignorance des enjeux liés à une question complexe que des juges ont faits à des victimes d’agression sexuelle.

Les études ont montré l’effet effroyable que ce genre de commentaires et le processus en général ont sur la probabilité que les victimes portent plainte. C’est inacceptable.

Cependant, je crois en l’importance capitale de l’indépendance de la magistrature et je m’inquiète des répercussions que le projet de loi C-3 pourrait avoir sur cette indépendance. Lorsque le juge J. Michael MacDonald, ancien directeur exécutif du Conseil canadien de la magistrature, est venu témoigner au Comité de la justice de la Chambre des communes, il a affirmé qu’il était essentiel que la formation que les juges reçoivent demeure entièrement à la discrétion de la magistrature. Il a souligné le dangereux précédent que ce projet de loi risquerait de créer en permettant à de futurs gouvernements d’adresser des directives d’inspiration politique à la magistrature. Il a dit :

Le problème, c’est que dans 20 ans, si le gouvernement d’alors décide d’instruire les juges de recevoir une formation sur le mythe des pensionnats autochtones ou n’importe quoi d’autre qui ne partirait pas d’une bonne intention, on voudra que la magistrature riposte courageusement qu’on ne peut pas dire aux juges sur quoi ils doivent se former parce que si on leur dicte ce qu’ils doivent apprendre, on se trouve à leur dire ce qu’ils doivent penser.

Dans le même ordre d’idées, le juge en chef Wagner de la Cour suprême du Canada a déclaré en février 2020 :

La magistrature dans son ensemble doit être libre de décider de la formation que les juges reçoivent pour leur permettre de bien faire leur travail.

L’Association du Barreau canadien, entre autres, a soulevé des préoccupations semblables lors de son témoignage au Comité sénatorial.

Bien entendu, certains témoins, comme l’Institut national de la magistrature, ne partagent pas cette préoccupation et considèrent que ce projet de loi établit un juste équilibre.

Chers collègues, pour ces raisons, je ne sais pas encore si j’appuierai ce projet de loi lors du vote final. Cependant, je considère qu’il revient au Sénat de chercher à améliorer du mieux qu’il peut tous les projets de loi dont il est saisi.

Le sénateur Boisvenu a présenté un amendement qui s’appuie sur les témoignages de victimes qui ont pu démontrer précisément comment la sensibilisation de la magistrature à des questions liées à la violence familiale pourrait prévenir des agressions violentes et sauver des vies. Ces femmes courageuses ont présenté des témoignages bouleversants et convaincants. La plupart des témoins étaient favorables à l’inclusion de cet aspect important et ont même explicitement exhorté le Sénat à apporter ce changement lors de leur témoignage.

Je trouve inquiétant d’entendre certains sénateurs dire à ces témoins que l’adoption des amendements qu’elles proposent risquerait de faire avorter le projet de loi. Il est honteux qu’ils tentent de brandir la menace d’un rejet du projet de loi et d’insinuer que ces témoins en seraient responsables pour tenter de les convaincre de retirer leur appui à cet amendement. Les personnes qui témoignent devant un comité ne sont pas là pour influer sur l’échéancier législatif, mais bien pour donner leur opinion sur un projet de loi.

J’ai trouvé cette série de questions à la fois inappropriée et trompeuse. Cet amendement, bien qu’il puisse certainement avoir des répercussions importantes, n’est pas très complexe, et son étude ne prendrait pas beaucoup de temps. Pour ceux qui appuient ce projet de loi, cet amendement va essentiellement de soi, étant donné que ce projet de loi est largement appuyé à la Chambre des communes, et je crois qu’on peut en dire autant du Sénat.

Je ne comprends pas pourquoi un amendement très simple mettrait tant en danger la survie du projet de loi. C’est encore plus difficile à comprendre quand on sait que le gouvernement et ses représentants étaient tout à fait disposés à accepter que des amendements majeurs et complexes soient apportés au projet de loi sur l’aide médicale à mourir il y a quelques semaines à peine. Comme je tentais de le faire comprendre à la sénatrice Gagné, c’était un projet de loi complexe, assorti d’un délai. Pourtant, le gouvernement y a accepté des amendements. L’adoption de l’amendement en question ne devrait pas faire perdre beaucoup de temps aux deux Chambres et ne devrait pas avoir une grande incidence sur l’échéancier.

Nous sommes le 6 mai. Nous voterons sur le projet de loi aujourd’hui. Si un amendement est apporté, le projet de loi sera renvoyé à la Chambre des communes. La semaine prochaine, elle pourra l’étudier. Cela pourrait se faire en un rien de temps, honorables collègues. La leader adjointe soutient, notamment, que le projet de loi pourrait mourir au Feuilleton parce que nous n’avons pas le temps d’examiner l’amendement proposé. Or, nous travaillons selon le calendrier fixé par le gouvernement et, si celui-ci veut prendre le temps nécessaire pour l’adopter, il le fera.

Si les sénateurs ne sont pas tenus d’envisager des moyens d’améliorer les mesures législatives et qu’on dissuade les témoins de suggérer des améliorations, que faisons-nous ici, chers collègues? À quoi ont servi les audiences du comité? Pourquoi tenons-nous des débats si nous avons comme seul rôle d’approuver aveuglément les mesures législatives du gouvernement?

J’aimerais demander au leader du gouvernement au Sénat et à la leader adjointe à quel moment ils ont reçu la directive de s’opposer à tous les amendements. Cela fait combien de temps? Ont-ils reçu cette directive avant même de savoir quels seraient les amendements? Si l’on s’en tient à leur argument, l’enjeu est tout simplement trop élevé pour risquer de faire mourir le projet de loi au Feuilleton. Mais est-ce le cas? Quelles seraient les conséquences pour les personnes qui ont survécu à une agression sexuelle? L’Institut national de la magistrature, l’entité responsable de la formation des juges, a informé le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles que, de 2014 à mars dernier, il a offert 51 séances de formation, qu’il s’agisse de formations approfondies portant uniquement sur les affaires d’agressions sexuelles ou de séances dans le cadre d’autres programmes. Il a offert 51 de ces séances au cours des six dernières années. En outre, il a offert 21 autres séances qui se portaient principalement sur des questions liées aux affaires d’agressions sexuelles, telles que la violence familiale, la traite des personnes, les droits des victimes et les traitements tenant compte des traumatismes.

Lorsque le sénateur Campbell a demandé à la juge Adèle Kent, de l’Institut national de la magistrature, ce qu’apportera le projet de loi à la formation qui est déjà offerte dans l’ensemble du Canada, elle a répondu :

Dans un sens, je dirais que la formation va continuer d’évoluer comme elle l’a fait, et dans un autre sens, je pourrais dire que le projet de loi n’apportera rien de plus sur le plan de la formation. Cependant, je dois dire que, depuis 2017, lorsque Mme Ambrose a présenté le projet de loi C-337, le dialogue entre la magistrature et le Parlement ainsi que le dialogue avec des représentants de groupes de victimes se sont révélés fort utiles.

En substance, elle affirme que rien ne changerait, mais que les conversations qu’ils ont eues à la suite de la présentation du projet de loi de Rona Ambrose, en 2017, ont été précieuses et ont contribué à faire évoluer leur formation.

Chers collègues, je ne vois pas pourquoi nous devrions nous abstenir d’amender ce projet de loi — un amendement que les victimes de violence familiale et conjugale demandent —, alors que, selon la juge Kent, ce projet de loi sera largement symbolique et ne changera rien à la formation existante en ce qui concerne les agressions sexuelles.

Il est arrivé, chers collègues, que nous adoptions des mesures législatives boiteuses parce qu’il nous fallait respecter une échéance imminente pour éviter de graves conséquences. Par exemple, bon nombre des mesures relatives à la relance prises par le gouvernement pendant la pandémie de COVID-19 étaient très imparfaites, mais nous les avons adoptées à cause des délais.

Quoi qu’il en soit, étant donné que la formation sur les agressions sexuelles se poursuivra, que le projet de loi soit adopté ou non, ces pressions n’existent tout simplement pas, dans le cas présent. Si le Parlement décide des sujets à propos desquels les juges doivent être formés, nous avons l’obligation d’élaborer un bon projet de loi pour les victimes de violence conjugale. Il n’y a aucune raison, chers collègues, pour que l’étude de cet amendement soit pénible ou qu’elle prenne beaucoup de temps. Si le gouvernement peut adopter en quelques heures un amendement donnant l’accès à l’aide médicale à mourir en cas de problème de santé mentale, il est absurde de dire qu’un projet de loi ayant reçu le soutien unanime de la Chambre des communes nécessiterait un long débat sur un amendement très simple.

Je crois qu’en appuyant cet amendement, nous remplissons notre rôle de Chambre de second examen objectif, et je voudrais féliciter le sénateur Boisvenu pour ses efforts inlassables et admirables en faveur des victimes de violence, notamment de violence familiale. Je vous remercie.

https://sencanada.ca/fr/senateurs/plett-donald-neil/interventions/559206/22 

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