Le projet de loi C-7 donnera aux patients souffrant d’une maladie mentale un accès immédiat à un moyen de se donner la mort au lieu d’améliorer la prévention du suicide

Le 17 mars 2021 (Ottawa, ON) – L’honorable Don Plett, leader de l’opposition au Sénat, a émis la déclaration suivante :

Honorables sénateurs, j’interviens moi aussi avec une profonde tristesse pour parler du message du gouvernement au sujet du projet de loi C-7.

D’entrée de jeu, je tiens à remercier, d’abord et avant tout, les membres du Comité des affaires juridiques. Ils ont fait un travail formidable en convoquant quelque 130 témoins. Je remercie aussi la présidente du comité, la sénatrice Jaffer. J’ai eu l’occasion d’assister à de nombreuses séances du comité, et je reconnais qu’il n’était pas tâche facile d’assurer le bon déroulement des travaux et de garder la situation en main. Je félicite la sénatrice Jaffer de l’excellent travail qu’elle a fait à la présidence et notamment de son impartialité dans la conduite des travaux.

Je remercie également les autres membres du comité, notamment ceux qui ne partageaient pas mon avis. En dépit de nos divergences d’opinions, je leur suis reconnaissant du travail qu’ils ont fait au comité. Ce qui est formidable au Parlement — grâce au processus démocratique en place —, c’est que nous n’avons pas à être du même avis. Néanmoins, nous devons faire preuve de respect les uns envers les autres, en particulier lorsque nos opinions divergent.

Je remercie mes collègues de caucus de leur travail, notamment le sénateur Carignan, le porte-parole de l’opposition pour le projet de loi. Évidemment, je ne peux pas passer sous silence l’excellent travail de la vice-présidente, la sénatrice Batters. Je salue également la contribution du sénateur Boisvenu. Enfin, j’exprime ma gratitude à nos collègues qui ont agi comme remplaçants à l’occasion. Merci à tous.

Tout comme la sénatrice Martin, je souhaite remercier les témoins, des témoins qui se sont ouverts, qui ont dévoilé leur vulnérabilité. C’était très impressionnant. Nous vous en remercions. À ceux qui souhaitaient en obtenir plus que ce que nous avons obtenu, je dirai ceci : nous allons poursuivre la lutte et continuer de lutter pour vous, les Canadiens vulnérables.

Je remercie tous les sénateurs. Je crois vraiment que ce projet de loi a permis de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un enjeu partisan. Très franchement, j’ai été attristé par les commentaires du sénateur Dean, qui a remercié ceux qui avaient voté de manière indépendante et non selon leur allégeance politique. Je ne sais pas trop à qui il faisait référence. S’il vérifiait le compte rendu, il verrait que mon bon ami le sénateur Carignan, ainsi que le sénateur Smith, qui ont tous deux dirigé notre caucus avant moi, ont voté différemment lors des nombreux votes que nous avons tenus au sujet de ce projet de loi.

Je ne sais donc pas trop qui fait preuve de partisanerie. Est-ce que cela signifie que lorsque les sénateurs conservateurs votent du même côté que d’autres sénateurs, cela devient de la partisanerie? C’est vraiment triste, chers collègues. Cette mesure législative — aucune mesure législative, en fait — ne devrait pas nous diviser et susciter des attaques partisanes. Cette mesure législative ne s’y prête vraiment pas.

Chers collègues, j’éprouve du respect envers tous ceux qui voteront pour le message aujourd’hui. Je peux ne pas être d’accord avec vous, et je peux même être en colère contre vous, mais c’est aussi mon droit. Je respecte toujours votre droit de voter comme vous le faites, et j’espère vraiment que vous respecterez mon droit de voter contre ce projet de loi et de faire tout ce que je peux pour améliorer une mesure législative que je juge déficiente.

Chers collègues, sur ce, permettez-moi de vous faire part de mes observations.

Bien que l’amendement le plus troublant que nous examinons aujourd’hui provienne de cette enceinte, je tiens à dire quelques mots sur le processus. Nous avons entendu dire que ce processus d’amendement représente le Parlement dans ce qu’il a de meilleur, et qu’il a été respectueux jusqu’à présent, de sorte que nous devrions accepter ce message du gouvernement. Je suis respectueusement en désaccord.

Dès le départ, le Parlement a été contraint de commencer l’examen d’une proposition radicale d’expansion du suicide assisté avant d’entamer l’examen parlementaire obligatoire de notre système actuel. L’examen quinquennal a été inscrit dans la loi initiale parce que nous avons reconnu la gravité de ce changement de paradigme. Nous avons tous compris que toute nouvelle expansion devrait avoir lieu après un examen minutieux et réfléchi du système actuel.

Il ne s’agissait pas d’un examen facultatif, mais bien d’un examen obligatoire.

On nous a ensuite avisés que nous étions dans une situation d’urgence en raison d’un jugement d’un tribunal inférieur et d’une échéance imminente. Ce n’est, bien sûr, pas le cas. Nous sommes dans cette situation à cause des visées personnelles du ministre de la Justice et des membres du gouvernement Trudeau. Nous voici donc maintenant sur le point d’adopter un projet de loi qui va tellement au-delà de la décision Truchon qu’il est absurde de laisser entendre qu’il était censé représenter une réponse à cette décision.

Le gouvernement a pris la décision sans précédent de ne pas faire appel de la décision Truchon qui a été rendue par la Cour suprême du Canada dans une affaire concernant une personne. Par conséquent, nous avons pris aveuglément des décisions politiques radicales en fonction de ce que certains pensent que la cour pourrait dire.

Avec une révision de cette ampleur, il nous aurait été utile de savoir clairement comment légiférer à l’avenir.

Le gouvernement s’est également mis des bâtons dans les roues à plusieurs reprises quant au respect de chaque délai supplémentaire et il a rejeté la faute sur tout le monde. Le projet de loi a été présenté pour la première fois il y a plus d’un an, soit une semaine après que le gouvernement avait déjà demandé une première prolongation à la cour supérieure. Ensuite, au lieu de présenter un projet de loi qui répondait simplement à la décision, le gouvernement a présenté une mesure législative beaucoup plus radicale et étendue, qui nécessiterait manifestement un examen plus long et approfondi de la part du Parlement.

Le gouvernement a demandé d’autres reports de la date d’échéance, notamment quand le début de la pandémie de COVID-19 a empêché le Parlement d’étudier le projet de loi et de le faire progresser comme il l’aurait souhaité. Le gouvernement a ensuite raté une autre échéance quand le premier ministre a prorogé le Parlement pour éviter un examen minutieux du scandale UNIS.

Après que le Sénat eut coopéré aux efforts, notamment en menant une étude préalable exhaustive, le gouvernement a agi de façon irrespectueuse à l’égard du processus parlementaire quand il a insisté pour que nous « mettions la main à la pâte » et que nous précipitions l’adoption du projet de loi afin de respecter la nouvelle échéance fixée.

Après ce dernier report de l’échéance, le gouvernement a décidé de couper court aux débats de façon préventive à la suggestion du Bloc québécois, un parti selon lequel le Sénat ne devrait même pas exister, mais qui a tout de même accepté avec plaisir une suggestion du Sénat à propos d’un enjeu que la Chambre des communes n’avait pas étudié. Le gouvernement, en collaboration avec le Bloc, a étouffé le débat au sujet d’une nouvelle proposition cruciale, que la Chambre des communes n’a donc pas examinée.

Le Comité de la justice de la Chambre des communes n’a convoqué aucun témoin à propos de l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale parce que cet élément ne faisait pas partie du projet de loi. Ensuite, après avoir reçu le message du Sénat, le gouvernement a permis une étude d’à peine quelques jours, quelques heures, en fait, avant d’imposer la clôture. Le gouvernement a ainsi mis un terme à toute possibilité d’étudier davantage le dossier ou de présenter d’autres questions et d’autres opinions dissidentes, et il a continué à foncer droit devant. De toute évidence, il a procédé ainsi parce que la pression s’intensifiait.

Des militants pour la santé mentale, des psychiatres, des associations professionnelles et la population ont manifesté leur indignation avec force. Les gens ont entendu parler de la situation. Le gouvernement devait régler la question rapidement. Au lieu de donner à la Chambre des communes la possibilité d’étudier une question aussi complexe que l’idée d’offrir l’aide au suicide aux Canadiens qui souffrent uniquement d’une maladie mentale, ils ont tout simplement mis fin à la discussion. Tous les Canadiens devraient s’inquiéter du mépris envers le Parlement dont ce gouvernement a fait preuve dans sa gestion de l’étude de ce projet de loi qui porte sur une question de vie ou de mort.

Lundi dernier, le sénateur Gold a dit que le gouvernement avait fait preuve d’ouverture à l’idée d’étudier des amendements constructifs s’accordant avec les objectifs du projet de loi. Selon ce qu’on nous avait dit, sénateur Gold, le projet de loi avait pour objectif de répondre à la décision rendue dans l’affaire Truchon. Or, il est évident que les amendements acceptés ne reflètent pas cet objectif. On peut donc se demander quel est au juste l’objectif de ce projet de loi.

Le leader du gouvernement et la marraine du projet de loi avaient préparé des discours contre les amendements qui visaient simplement à préserver les mesures de sauvegarde en vigueur, et ce, avant même d’entendre des arguments favorables au maintien de ces mesures, puis ils ont voté contre ces amendements. Cependant, en ce qui concerne un pilier de ce projet de loi — l’exclusion cruciale que le gouvernement avait défendue pendant des mois —, les trois représentants du gouvernement et la marraine de ce projet de loi ont changé d’avis par rapport à la position qu’ils avaient défendue à l’étape de la deuxième lecture et, n’ayant soudainement plus d’avis sur la question, ils se sont abstenus.

Devons-nous croire qu’il s’agit d’une coïncidence et que le gouvernement était véritablement ouvert à accepter un amendement raisonnable? Devons-nous croire que le gouvernement a soigneusement pesé notre message après l’avoir reçu et qu’il a évalué sa conformité avec la décision Truchon avant de prendre sa décision finale? Bien sûr que non.

Le gouvernement savait quels amendements il allait accepter ou rejeter bien avant qu’on vote au Sénat. Cela est devenu on ne peut plus clair avec les abstentions par rapport à l’amendement sur la disposition de caducité, une exclusion que la marraine et le leader du gouvernement ont ardemment défendue dans leurs discours à l’étape de la deuxième lecture.

Soyons clairs : dès le départ, l’objectif n’était pas de réagir à la décision Truchon. L’objectif consistait plutôt à faire correspondre la mesure législative aux opinions du ministre Lametti et du gouvernement sur cet enjeu.

Chers collègues, je soupçonne que cet amendement a été rédigé au bureau du ministre Lametti. Si c’est là le meilleur du Parlement, je ne voudrais pas voir le pire. Ce qui me préoccupe le plus, c’est la politique dont hériteront les Canadiens en conséquence.

Honorables sénateurs, comme beaucoup de gens partout au pays, j’ai le cœur brisé. Je ne comprends vraiment pas pourquoi nous agirions aussi rapidement, en l’absence de données probantes et avec des conséquences aussi sinistres.

Une grande diversité de points de vue a été exprimée sur le sujet. Même si j’ai d’énormes difficultés à comprendre le raisonnement justifiant l’inclusion de la maladie mentale dans le régime, j’espère vraiment que cette opinion est fondée sur la compassion.

Cependant, dans le cadre de cette discussion, il importe de se rappeler que l’ensemble du régime d’aide médicale à mourir au Canada, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada, repose sur la notion selon laquelle seules les personnes qui sont atteintes de problèmes de santé graves et irrémédiables sont admissibles au suicide assisté. Comme l’a dit récemment le Dr Sonu Gaind, qui est psychiatre et qui a été président de l’Association des psychiatres du Canada, il « n’est pas possible de prévoir le cours d’une maladie mentale de manière irrémédiable ». Il a aussi précisé ceci : « Aucun débat légitime n’a été tenu sur cette question. »

Le Centre de toxicomanie et de santé mentale a lui aussi conclu qu’il n’y a tout simplement pas suffisamment de données probantes dans le domaine de la santé mentale pour déterminer si une personne en particulier est atteinte d’une maladie mentale irrémédiable.

L’Association canadienne pour la santé mentale a exprimé les mêmes préoccupations que les associations de psychiatrie et a affirmé que le Canada doit continuer d’exclure la maladie mentale en tant que seul motif pour demander l’aide médicale à mourir.

Margaret Eaton, la chef de la direction de cette association, a affirmé ce qui suit dans un plaidoyer à l’intention du Parlement :

Avant même de considérer qu’une maladie mentale est incurable, nous devrions nous occuper du système canadien de santé mentale, car il ne va pas très bien.

Après avoir étudié pendant 15 mois des données probantes à l’échelle mondiale, le Conseil des académies canadiennes est parvenu à la même conclusion, tout comme le groupe consultatif d’experts sur l’aide médicale à mourir. Par ailleurs, l’association américaine de psychiatrie et le Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists ont également conclu qu’il n’y a aucune preuve justifiant la prestation de l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant uniquement de maladie mentale.

Le ministre Lametti lui-même a dit au Comité de la justice de la Chambre des communes, puis au Comité sénatorial des affaires juridiques, qu’il n’y a pas de consensus dans le milieu de la santé mentale et de la psychiatrie qui justifierait l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale en ce moment. Puis, la semaine dernière, le ministre Lametti a affirmé à la Chambre des communes qu’il y a un large consensus concernant l’inclusion des personnes souffrant de maladie mentale dans le régime d’aide médicale à mourir. Je suppose qu’il a lu le même rapport que le sénateur Kutcher.

Soit le milieu psychiatrique canadien a changé soudainement et radicalement sa position, d’une manière qui coïncide avec le nouvel objectif stratégique du gouvernement, soit le ministre induit délibérément en erreur le Parlement. Le ministre n’est en mesure de répondre à aucune question sur son brusque revirement, mais il a laissé entendre qu’il agissait avec prudence en fixant dans deux ans l’entrée en vigueur de l’amendement.

Cet amendement — la sénatrice Batters l’a encore souligné clairement l’autre jour — ne donne pas au Parlement deux ans pour déterminer si la maladie mentale devrait être incluse. Il part plutôt de l’hypothèse dangereuse que les preuves se présenteront d’une manière ou d’une autre et justifieront rétroactivement ce saut en avant. Comme l’a déclaré le Dr Mark Sinyor, psychiatre :

Dans d’autres domaines de la médecine, des scientifiques sérieux consacrent généralement toutes leur carrière [...]

Je cite des propos que la sénatrice Martin a tenus un peu plus tôt.

[...] à peser attentivement les avantages et les inconvénients des traitements avant de les mettre en œuvre. Dans le cas présent, cette approche éprouvée a été inexplicablement remplacée par des gesticulations et un discours moralisateur.

La disposition de caducité nous est présentée comme devant nous donner le temps d’élaborer des normes ou des garanties, mais cette notion a été discréditée par le milieu de la psychiatrie, car elle ignore la seule véritable mesure de sauvegarde dont nous disposons.

Le Dr Gaind a fait observer :

Ceux qui prônent l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir proposent d’adoucir cette réalité en mettant en place « des mesures de sauvegarde ». C’est ignorer le fait que le caractère irrémédiable d’une situation est, en soi, la principale mesure de sauvegarde intégrée au cadre de l’aide médicale à mourir, et que la court-circuiter rend vaines toutes les autres soi-disant « mesures de sauvegarde ».

Il a poursuivi en ces termes :

Parce que nous ne pouvons pas dire si une situation sera irrémédiable, il est absolument certain que l’aide médicale à mourir sera offerte à des personnes qui pourraient se rétablir, et nous n’avons aucune mesure de sauvegarde dans ce cas-là.

Honorables sénateurs, un délai de 24 mois ne fera rien pour nous rassurer, car les conséquences ont déjà commencé à se faire jour. Nous avons tous reçu des courriels de psychiatres nous parlant de patients leur ayant fait part de leur intention d’arrêter leurs traitements parce que l’accès à l’aide médicale à mourir est imminent. On parle là de patients qui faisaient des progrès lents, mais constants.

La disposition de caducité n’est rien de plus qu’une tentative d’atténuer les effets d’une mesure législative qui a été terriblement mal conçue et adoptée beaucoup trop rapidement. La question que je me pose est la suivante : pourquoi maintenant? Personne dans cette enceinte ne peut affirmer qu’un quelconque consensus professionnel existe sur la question. Si un changement majeur se produit dans deux ans et que nous constatons soudainement qu’il y a un consensus dans le domaine de la psychiatrie, ainsi qu’une évolution de l’opinion des Canadiens, alors rien n’empêchera le gouvernement en place d’envisager l’élargissement de l’aide médicale à mourir.

Cela dit, on ne peut nier que nous n’en sommes pas du tout là. Le manque de données probantes, l’absence de consensus et le risque énorme que pose l’amendement en question nous prouvent, objectivement, que nous avons affaire à une terrible décision politique.

Je pose donc la question de nouveau : pourquoi maintenant? Quelle justification pourrait-on y trouver? La juge ayant rendu la décision dans l’affaire Truchon ne nous a jamais enjoint de prendre une telle mesure. Nous ne savons pas ce que la Cour suprême du Canada en pense, car la décision du gouvernement de ne pas porter la décision en appel nous a privés de ses observations.

Des experts juridiques des deux camps ont comparu en comité, certains soutenant fermement que l’exclusion de la maladie mentale était nécessaire et tout à fait constitutionnelle, puisqu’on peut invoquer l’article 1 de la Charte. Il est tout à fait impossible de prétendre qu’il existe un consensus juridique sur l’inconstitutionnalité de l’exclusion de la maladie mentale.

À l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Gold a prononcé un discours empreint de passion, présentant des arguments réfléchis justifiant le maintien tel quel de l’exclusion de la maladie mentale, notamment au chapitre de la constitutionnalité. Maintenant, l’objectif stratégique a changé, tout comme l’analyse de la constitutionnalité qui accompagne le projet de loi.

Chers collègues, j’espère sincèrement que nous n’accordons pas trop d’importance à des alarmes passagères concernant la constitutionnalité, d’autant plus que nous n’avons pas de directive à cet égard de la part de la Cour suprême du Canada.

Néanmoins, comme l’a fait remarquer, avec raison, le sénateur MacDonald dans son discours à l’étape de la troisième lecture, les arguments concernant la constitutionnalité ne sont pas pertinents pour notre processus décisionnel. En effet, le sénateur a dit :

Un sénateur n’est pas un avocat plaidant; le Sénat n’est pas un tribunal. Nous ne sommes pas ici pour rendre un jugement, mais bien pour légiférer. Un sénateur peut très bien avoir un avis constitutionnel sur tel ou tel enjeu, mais nous ne devrions pas présumer de la décision que prendra probablement un tribunal. Ce travail doit être laissé aux mains des tribunaux eux-mêmes.

Ainsi, chers collègues, de grâce, prenons la bonne décision stratégique en fonction des renseignements et des témoignages à notre disposition, étant donné que la mauvaise décision risque d’avoir et aura de terribles conséquences.

Au chapitre de la maladie mentale, nous devons offrir un peu d’espoir à ceux qui n’en ont plus du tout. Si ce n’est pas là notre plus grande priorité, c’est que nous avons échoué. Nous devrions investir dans la recherche, dans l’accès aux traitements et dans la prévention du suicide, mais cet amendement propose plutôt d’aider ceux qui traversent une période particulièrement sombre à mettre fin à leurs jours, alors qu’il se peut très bien qu’ils s’en sortent.

Nous avons été nombreux à regarder la vidéo virale Tell Me To Stay, ou « dites-moi de rester », qui a circulé depuis que le Sénat a adopté l’amendement sur la disposition de caducité. On y voit une jeune femme qui a essayé sept fois de se suicider supplier le Parlement de ne pas autoriser les médecins à mettre fin à la vie des personnes qui pourraient se retrouver dans la même situation. Comme elle le dit elle-même : « Je suis la version future de moi-même, celle qui a survécu pour vous transmettre ce message. » Elle ajoute qu’il se pourrait bien que certaines personnes atteintes de maladie mentale nous remercient de rendre cette avenue possible, mais qu’il est justement là, le problème. Dans ses mots :

Si, pendant une de mes crises, quelqu’un avait essayé de m’aider à me suicider, je sais que la vie que j’ai vécue se serait envolée en fumée.

Elle explique également que, quand elle était aux prises avec ses tiraillements internes, elle n’avait surtout pas besoin de quelqu’un pour l’aider à se suicider, mais pour prendre sa défense et se battre pour elle.

La maladie mentale, chers collègues, affecte des gens de toutes les tranches d’âge, de tous les niveaux d’éducation et de revenu et de toutes les origines. Il faut garder en tête que les vies qui sont en jeu sont celles de nos voisins, de nos amis et de nos proches.

J’ai récemment eu des nouvelles d’une personne qui souffre de dépression et d’anxiété depuis des décennies et qui a obtenu des résultats mitigés de divers traitements, mais qui va bien depuis un bon moment. Elle s’est dite déconcertée et chagrinée que nous pensions ajouter la maladie mentale alors que nous sommes enfin, chers collègues, à la veille d’un changement de paradigme sociétal, un changement qui normalisera la thérapie, réduira la stigmatisation et priorisera l’accès au soutien en santé mentale. Ayant gardé le silence et ressenti de la honte concernant sa maladie pendant des dizaines d’années, elle peut maintenant sentir la transformation s’opérer. Nous y sommes presque, selon elle, et les retombées de cette transformation pour des gens comme elle pourraient être majeures. Et voilà que, juste au moment où cette transformation s’apprête à se produire, nous faisons un grand pas en arrière, un pas qui pourrait signifier la fin de la vie de gens comme elle, au nom de l’autonomie.

Nous avons tous reçu des lettres de Canadiens qui ont été atteints de maladies mentales et qui affirment sans hésiter que, si le suicide assisté avait été possible lorsqu’ils ont vécu leurs pires moments, ils ne seraient plus avec nous aujourd’hui. Si on leur avait offert un moyen assuré de mettre fin à leurs souffrances, ils n’auraient pas eu à se donner la peine de faire une tentative de suicide eux-mêmes par des moyens plus ou moins efficaces. Souvent, malheureusement, ces tentatives ratées constituent le premier pas vers le traitement, vers la guérison et vers l’avenir.

On peut se tourner vers les travaux de Malcolm Gladwell concernant l’association pour mieux comprendre. Les recherches de Gladwell, entre autres, sur la question confirment avec assez de certitude que les idées suicidaires d’une personne atteinte de maladies mentales n’expliquent pas à elles seules qu’elle choisisse la mort. C’est plutôt la rencontre des idées suicidaires et de circonstances particulières.

Par exemple, en 1963, la poète Sylvia Plath, qui souffrait de dépression depuis longtemps, a allumé le gaz du poêle de sa cuisine, en Angleterre, et s’est enlevé la vie en plaçant sa tête dans le four. Dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, beaucoup de foyers britanniques ont commencé à utiliser le gaz de houille pour alimenter leur poêle et leur chauffe-eau. Ce gaz est un composé de divers éléments, y compris le monoxyde de carbone, qui est sans odeur et mortel. Cette transition a offert aux Britanniques un moyen simple pour se suicider dans leur propre foyer et ils y ont eu recours. La même année où Sylvia Plath a mis fin à ses jours, 5 588 personnes en Angleterre et au pays de Galles sont mortes par suicide. Parmi elles, 2 469 personnes, soit 44,2 %, s’y sont prises exactement de la même manière que Sylvia Plath. Aucun autre moyen n’a été utilisé dans une proportion comparable.

Au cours de la même période, l’industrie britannique du gaz a subi une transformation. Comme le gaz de ville était de plus en plus cher et polluant, on a décidé d’opter pour le gaz naturel. En 1977, tous les appareils de la ville fonctionnant aux gaz ont été convertis au gaz naturel. On a alors noté une baisse considérable du nombre de suicides par le gaz, qui est passé de 2 469 en 1962 à 0 en 1977. Nombreux sont ceux qui estiment que d’éliminer une possibilité de suicide ne fera pas une grande différence, car une personne déterminée à mettre fin à ses jours trouvera toujours un moyen de mettre son plan à exécution. Or, dans les faits, une fois le gaz de ville éliminé, le taux global de suicide en Angleterre a chuté.

Dans le même ordre d’idées, Gladwell note que le pont Golden Gate à San Francisco a été le lieu de plus de 1 500 suicides depuis son inauguration en 1937. Aucun autre endroit dans le monde n’a été témoin d’un si grand nombre de suicides en une si courte période. La Ville de San Francisco avait envisagé d’installer un filet de sécurité ou une barrière pour empêcher les gens de se jeter en bas du pont, mais de nombreuses personnes estimaient qu’il s’agissait d’un effort inutile. Après tout, ceux qui avaient décidé de s’enlever la vie trouveraient certainement un autre endroit d’où se précipiter dans le vide ou une autre méthode pour arriver à leurs fins. Cependant, il a été établi que ce n’est pas le cas. La décision de se suicider était associée à ce pont en particulier.

Le psychologue Richard Seiden a effectué un suivi auprès des 515 personnes qui, entre 1937 et 1971, avaient voulu se jeter du haut du pont, mais en avaient été empêchées. Seulement 25 de ces 515 personnes ont quand même tenté de se suicider d’une autre façon. La grande majorité des personnes qui ont tenté de se jeter du haut du pont Golden Gate à un moment donné n’ont voulu se jeter de ce pont qu’à ce moment-là.

Lors d’une enquête nationale, les trois-quarts des Américains avaient répondu que si jamais une barrière était finalement installée sur le pont Golden Gate, la plupart des personnes qui songeaient à se suicider en sautant de ce pont trouveraient tout simplement un autre moyen de mettre fin à leurs jours. Cette hypothèse s’est aussi révélée fausse. Gladwell a constaté avec ses collègues que le suicide est un comportement associé à un contexte particulier. Il en a conclu ceci :

Il s’agit du geste qu’une personne dépressive commet à un moment précis d’extrême vulnérabilité où elle a un accès immédiat à un moyen de se donner la mort.

Honorables sénateurs, avec cette nouvelle proposition, nous offrirons aux patients atteints de maladie mentale les moyens létaux les plus facilement disponibles. Nous leur offrirons un moyen sûr de mettre fin à leurs souffrances et à leur vie, ce qui, comme les données le démontrent, les incitera beaucoup plus à passer à l’acte. En adoptant cette mesure, nous ne nous contentons pas de fournir les moyens, mais nous envoyons un message dangereux aux patients, quelque chose comme : « Nous sommes d’accord avec vous pour dire que dans vos moments les plus sombres, votre vie ne vaut vraiment pas la peine d’être vécue, et nous vous aiderons même à y mettre fin ».

Honorables sénateurs, nous ne sommes pas obligés d’aller en ce sens. Nous ne sommes pas obligés d’adopter cet amendement simplement parce qu’il a été proposé dans cette enceinte. La communauté psychiatrique et les personnes ayant souffert d’une maladie mentale ont manifesté une profonde inquiétude. Il y a de nombreuses raisons pour que cette chambre change d’avis et mette la pédale au plancher.

C’est le moment de procéder à un second examen objectif comme jamais. Ce n’est pas souvent que nous pouvons vraiment dire qu’avec ce vote, nous avons l’occasion de sauver des vies, de prévenir les décès inutiles et prématurés de personnes vulnérables et d’offrir de l’espoir à ceux qui l’ont perdu, mais aujourd’hui, nous avons cette occasion. S’il vous plaît, chers collègues, ne laissons pas la portée du vote d’aujourd’hui nous échapper.

Si vous êtes convaincus que, dans 24 mois, nous aurons toutes les réponses et que nous aurons un consensus professionnel suffisant pour aller de l’avant, c’est certainement votre droit de déployer des efforts en ce sens. Un nouveau projet de loi sera de toute façon nécessaire pour adopter les nouvelles mesures de sauvegarde et les nouveaux paramètres proposés. Toutefois, il n’y a absolument aucune raison ni aucune justification pour aller de l’avant maintenant.

Pourquoi ne pas permettre au comité consultatif de jouir d’une véritable indépendance dans ses délibérations? S’il détermine, dans deux ans, que de l’aide au suicide peut être offerte sans crainte aux personnes atteintes d’une maladie mentale, le Parlement pourra agir en conséquence. Pourquoi limiterions-nous toutefois sa capacité à étudier la question et présumerions-nous de leurs conclusions lorsque nous savons que le milieu psychiatrique demeure très divisé? Le risque est tout simplement trop grand.

Pour clore la discussion, j’aimerais vous laisser avec quelques réflexions saisissantes du Dr John Maher, un psychiatre canadien. Vendredi dernier, c’est-à-dire le lendemain du vote à la Chambre des communes, il a écrit une lettre qui a même attiré l’attention du Globe and Mail aujourd’hui. Je pense qu’il est important de considérer ses paroles dans leur intégralité. Voici ce qu’il a écrit :

Il y a plusieurs années, je me trouvais sur la promenade des chutes Niagara avec mes trois jeunes enfants. Alors que nous nous tenions à la balustrade, à environ 6 mètres de la cascade rugissante, qui envoyait une brume rafraîchissante sur nos visages rougis par la chaleur estivale, un jeune homme qui avait peut-être 18 ans a enjambé la balustrade, qui était peu élevée, et s’est dirigé vers un petit promontoire rocheux qui surplombait immédiatement le vide de 150 pieds qui se terminait sur les rochers et dans les eaux bouillonnantes. La joyeuse foule de touristes s’est figée comme par magie, car tout le monde regardait le jeune homme et savait qu’une vie était en jeu. Le jeune homme a tourné son regard vers le vide et ne l’a jamais détourné. Ses vêtements étaient sales et on aurait dit qu’il se parlait à lui-même. Tenait-il une conversation existentielle, entendait-il des voix ou était-ce une combinaison des deux?

Je suis un père. J’ai détourné mes enfants de ce que je craignais qu’il se passe. Ils avaient tous moins de 9 ans et ils m’ont demandé : « Cet homme ne sait-il pas que c’est dangereux de s’approcher aussi près du bord? C’est mouillé et il pourrait glisser ». Ils étaient inquiets pour lui, tout comme moi.

Je suis psychiatre. Je me suis demandé ce que je pouvais faire. Qu’est-ce que je devais faire? Il ne pouvait entendre personne en raison du vacarme produit par l’eau. J’ai pensé à essayer de l’agripper et de le tirer en arrière, mais je savais que je pourrais tomber dans le vide avec lui. Est-ce que j’étais prêt à risquer ma vie pour le sauver? Que dire de mes enfants que je protégeais et que je tenais près de moi?

Le monde s’est arrêté pendant sept longues minutes. Il n’y avait aucun mouvement dans la foule qui observait le jeune homme et qui comptait maintenant des centaines de personnes, toutes en sécurité de l’autre côté d’une basse clôture que n’importe qui parmi nous aurait pu facilement enjamber à tout moment.

Je connaissais les taux de suicide au Canada. Au total, 23 % des personnes qui essaient de se suicider font une deuxième tentative, mais seulement 7 % parviennent à se suicider. Ce taux de suicide annuel correspond à 4 000 êtres humains. Je savais que la majorité des idées suicidaires sont ambivalentes et temporaires et que les personnes peuvent être aidées. Ce jeune homme qui avait toute la vie devant lui accepterait-il de l’aide?

Je suis aussi un éthicien. Hier soir, j’ai regardé les délibérations de la Chambre des communes à la télévision alors que le gouvernement libéral a mis fin au débat sur l’aide médicale à mourir. Tandis que j’écoutais les conservateurs, les néo-démocrates et les verts — les députés de gauche et de droite étaient unis dans leur humanité commune — implorer le gouvernement de ne pas étendre l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale, j’ai pensé aux chutes Niagara.

L’image qui m’est venue à l’esprit était celle du jeune homme au bord du gouffre avec deux groupes se tenant de part et d’autre de lui. D’un côté, il y avait un député libéral et un député bloquiste qui lui disaient qu’ils respectaient son droit de choisir la mort et que, s’il avait une maladie mentale qui lui causait d’énormes souffrances, il s’agissait d’une raison suffisante pour eux de lui trouver un médecin pour le pousser dans le gouffre. De l’autre côté, il y avait un député conservateur, un député néo-démocrate et un député vert. Ils disaient au jeune homme qu’il était important et que, peu importe ce qu’il ressentait actuellement, il y avait de l’espoir. Ils lui ont dit qu’ils tenteraient de l’aider. Ils essaieraient de lui trouver de l’argent pour le sortir de la pauvreté. Ils tenteraient de faire en sorte qu’il obtienne des soins de santé mentale, même si une telle chose était difficile et que les listes d’attente étaient longues. Ils tenteraient d’amener les gens à arrêter de se moquer de lui en raison de sa maladie mentale. À ce moment-là, les députés ont retenu le médecin, qui était plus que prêt à pousser sans ménagement l’homme dans le gouffre au nom de l’autonomie.

Que s’est-il passé ce jour-là? L’homme s’est éloigné du bord dans un état d’hébétude, comme s’il était dans son propre monde. Il a enjambé le garde-fou, et des étrangers l’ont spontanément étreint. Certains ont pleuré. Il était sincèrement surpris par toute cette attention et prenait soudainement conscience qu’il n’était pas seul. Plusieurs personnes marchaient avec lui de peur de le laisser seul alors qu’il luttait contre le désespoir. J’ose croire qu’il a obtenu de l’aide et qu’il mène une bonne vie. C’était un étranger, mais sa vie était importante. Quel camp choisiriez-vous?

Chers collègues, quel camp choisirons-nous? Merci.

https://sencanada.ca/fr/senateurs/plett-donald-neil/interventions/555393/19 

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