Le projet de loi C-15 est « un coup de dés du gouvernement » : discours du sénateur Plett à la troisième lecture

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je veux commencer mon discours en soulignant que, dans son appel à l’action no 53, la Commission de vérité et réconciliation demande la mise sur pied d’un conseil national de réconciliation. Le mandat du conseil serait notamment de promouvoir le dialogue public de réconciliation. Je mets l’accent sur le mot « dialogue ». Dans l’ensemble du rapport, la Commission de vérité et réconciliation parle de respect — de respect et de dialogue. Je suis tout à fait en accord avec cela.

Le processus de réconciliation sera long et probablement parfois douloureux. Cependant, il sera beaucoup plus pénible pour nous tous si le dialogue et le respect en sont absents. Lorsqu’on remet en question l’approche proposée par le gouvernement ou par une autre personne ou organisation pour promouvoir la réconciliation, cela ne devrait pas donner lieu à des accusations de racisme.

Honorables collègues, j’aimerais poser la question suivante. Est-ce que l’on sert mieux la cause de la réconciliation en lançant des accusations contre ceux qui ne souscrivent tout simplement pas à ce qui se dit dans la chambre d’écho, ou en optant plutôt pour le dialogue et le respect?

Je crois que la sénatrice McCallum comprend et convient qu’il faut du temps pour établir un dialogue et un respect véritables. Elle n’a pas cédé aux pressions lorsque le gouvernement a exigé que ce projet de loi soit adopté immédiatement et sans amendement. Il n’y a absolument aucune raison d’adopter ce projet de loi à la hâte et de se retrouver ainsi avec un résultat imparfait.

D’ailleurs, après avoir écouté la sénatrice McCallum, je crois qu’elle a compris qu’adopter à toute vapeur un mauvais projet de loi est bien pire que d’adopter un projet de loi plus réfléchi une fois qu’on a bien compris les effets de certaines dispositions législatives.

On peut être en désaccord sur ce qui constituerait le meilleur projet de loi pour le Canada lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la déclaration des Nations unies, mais je crois que nous pouvons convenir que nous devrions comprendre pleinement les effets des dispositions législatives que nous adoptons.

Chers collègues, il y a deux ans, le caucus conservateur s’est battu bec et ongles contre le projet de loi C-262, un projet de loi d’initiative parlementaire de nature similaire au projet de loi C-15. Nous nous opposions à cette mesure principalement parce que nous pensions qu’il incombait au gouvernement de présenter un tel projet de loi et que des ministres et des fonctionnaires devraient avoir à témoigner de son incidence devant le comité. Les ministres et fonctionnaires libéraux, chers collègues, ont refusé une invitation à témoigner sur le projet de loi C-262, laissant les sénateurs dans l’ignorance de l’incidence potentielle d’une telle mesure. Forcer le gouvernement à déposer son propre projet de loi avait l’avantage, au moins, d’essayer d’obliger les ministres et les fonctionnaires à préciser leur interprétation du projet de loi et son incidence. L’intention du gouvernement est particulièrement importante en ce qui concerne le projet de loi C-15.

Je reconnais maintenant que ce projet de loi a pris une importance symbolique pour de nombreuses personnes, en particulier au sein des communautés autochtones. Je crois que des personnes très sincères voient dans ce projet de loi un nouvel espoir de réconciliation avec les peuples autochtones. C’est tout à fait compréhensible.

Cependant, je crains que leurs espoirs ne se réalisent jamais. Je sais que beaucoup de personnes souhaitent que ce projet de loi entraîne une nouvelle ère pour les peuples autochtones et pour la réconciliation au Canada. À l’écoute des témoins qui se sont présentés au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, je crains cependant que cela soit peu probable. Comme le gouvernement a maintenant été forcé de décrire les véritables répercussions du projet de loi, on peut le voir pour ce qu’il est. Au mieux, il s’agit d’une liste d’aspirations qui créeront de la déception et de la frustration. Au pire, il s’agit d’une liste d’éléments qui indiquent d’éventuelles zones de conflit.

De plus, à l’écoute de ce que la majorité des provinces ont dit directement au premier ministre, la réalisation des attentes que le gouvernement a créées avec ce projet de loi semble peu probable.

Bien entendu, la position du gouvernement est différente. On a entendu des ministres proclamer haut et fort que ce projet de loi allait entraîner une nouvelle ère de réconciliation et de coopération avec les peuples autochtones. À cet égard, je veux lire certaines observations que le ministre Lametti a faites sur le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture dans l’autre endroit. Le ministre a dit que le projet de loi :

[...] s’inscrit également dans le cadre d’efforts plus vastes pour unir nos forces et faire progresser nos priorités communes qui sont de respecter les droits de la personne, de reconnaître le droit à l’autodétermination, de combler les écarts socioéconomiques, de lutter contre la discrimination et d’éliminer les barrières systémiques auxquelles se heurtent les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Ce sont des objectifs extrêmement vastes. Cela dit, le ministre ne s’est pas arrêté là. Il a ajouté que le projet de loi reconnaît :

[...] l’importance de la déclaration en tant que cadre pour la réconciliation, la guérison et la paix, les droits intrinsèques, l’importance de respecter les traités et les accords, ainsi que la nécessité de tenir compte de la diversité des peuples autochtones lors de la mise en œuvre des mesures législatives.

Il a aussi dit ceci :

En imposant un processus de collaboration pour établir un plan d’action concret sur ces questions et d’autres priorités en matière de droits de la personne, nous devrions constater une amélioration du lien de confiance et une diminution des recours aux tribunaux pour résoudre des conflits sur les droits des peuples autochtones.

Ce sont des objectifs très vastes et d’une portée considérable de la part d’un gouvernement qui a dépensé près de 100 millions de dollars dans des batailles juridiques contre les Premières Nations de 2015 à 2018. En tenant compte de ce fait seulement, il y a un décalage énorme entre ce que proclame le gouvernement et ce qu’il fait réellement. Ainsi, il est probablement compréhensible que nous ayons à remettre en question la sincérité des propos du ministre.

Puis, il y a la question des consultations menées par le gouvernement au sujet de ce projet de loi et, bien honnêtement, d’autres projets de loi. Le ministre a affirmé que le gouvernement a mené de vastes consultations sur ce projet de loi. C’est un aspect crucial parce que le niveau futur de consultation et de collaboration est évidemment un pilier du plan d’action proposé dans le projet de loi C-15. Nous devrions donc nous attendre à ce que des consultations en bonne et due forme soient un pilier essentiel du processus menant à l’élaboration du projet de loi lui-même.

Le ministre a évidemment affirmé que le projet de loi avait fait l’objet de vastes consultations. Plus précisément, il a dit que le projet de loi :

[…] est le fruit d’un processus de collaboration et d’engagement qui a été mené, au cours des derniers mois, auprès de détenteurs de droit, de leaders et d’organisations autochtones.

Il a ajouté que le gouvernement a « travaillé en étroite collaboration avec l’Assemblée des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis ».

Il a également dit ceci :

Nous avons aussi reçu de précieux commentaires de la part des collectifs autochtones ayant conclu un traité moderne, des Premières Nations autonomes, des titulaires de droits, des jeunes Autochtones et d’organismes autochtones régionaux et nationaux, notamment ceux qui représentent les femmes autochtones, les personnes bispirituelles et celles de diverses identités de genre d’origine autochtone.

Tous ces commentaires ont façonné l’élaboration de la proposition législative et nous tenons à remercier tous ceux qui ont contribué. Nous avons également tenu des discussions avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, ainsi qu’avec les intervenants de l’industrie des ressources naturelles.

Le problème, chers collègues, c’est que les témoignages entendus par le Comité des peuples autochtones contredisent les affirmations du gouvernement sur les consultations menées. Par exemple, le comité a entendu que la majorité des détenteurs de droits n’ont pas été consultés au sujet de ce projet de loi. Dans l’Ouest canadien, des signataires des Traités nos 6, 7 et 8 ont tous déploré le manque de consultations sur ce projet de loi et le manque de respect du gouvernement fédéral envers les détenteurs de droits et les signataires de traités avec lesquels il entretient des relations bilatérales.

L’Association des Iroquois et des Indiens alliés soutient que les détenteurs de droits en Ontario n’ont pas été consultés en bonne et due forme. Douglas Beaverbones, chef de la Première Nation d’O’Chiese, a dit ceci :

Le symbolisme du projet de loi C-15 ne nous donne pas l’assurance que les droits et privilèges inhérents aux relations fondées sur les traités seront pleinement reconnus.

Il a ajouté :

Le projet de loi C-15 créera encore plus de tables, plus de processus, et même plus de distance par rapport à la Couronne et à notre peuple. Il ne voudra rien dire au niveau de la base des gens visés par le traité.

Le Canada doit comprendre que l’Assemblée des Premières Nations n’est pas titulaire de droits issus de traités. Ce sont les gens de ma nation qui le sont. Leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est la norme de la DNUDPA, pas de Perry Bellegarde. Personne n’a demandé à mon peuple son consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause avant de proposer le projet de loi.

La marraine de ce projet de loi au Sénat proclame souvent haut et fort qu’elle vient du territoire du Traité no 6. Voici ce que dit la Confédération des Premières nations du Traité no 6 au sujet des consultations :

Il est clair pour la Confederacy of Treaty Six First Nations que le Canada a échoué sur tous les fronts en ce qui concerne la définition des dispositions de la Déclaration relatives au consentement préalable, librement donné et en connaissance de cause. Le gouvernement du Canada n’a satisfait à aucun des critères du consentement. Pas même une forme minimale.

Lors de son intervention à l’étape de la troisième lecture de ce projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson a énuméré une longue liste d’Autochtones qui appuient ce projet de loi du gouvernement. Mais qu’en est-il des détenteurs de droits qui n’appuient pas le projet de loi? Quelle est la valeur de leur consentement préalable donné librement et en toute connaissance de cause? Pourquoi semble-t-il que seul compte vraiment le consentement préalable des gens qui sont d’accord avec le gouvernement?

La réalité, c’est qu’un grand nombre de titulaires de droits ont parlé des consultations inadéquates au comité, et des sénateurs de tous les groupes ont reconnu qu’il s’agit d’un grave problème.

Par exemple, la sénatrice Coyle, que je tiens à féliciter, a informé le ministre Lametti et la ministre Bennett de ce fait lorsqu’ils ont comparu devant le comité lors du dernier jour d’audience. Elle a dit ceci :

Nous avons entendu beaucoup de commentaires positifs dans les derniers jours de témoignages intenses sur le projet de loi C-15 […]

Cela ne veut cependant pas dire que nous ne devons être à l’écoute de ceux qui ont de véritables préoccupations. Nous avons entendu les préoccupations des détenteurs de droits au sujet des droits issus de traités, mais aussi au sujet de tout le processus de consultation. Nous avons entendu beaucoup de méfiance.

Les représentants du secteur des ressources nous ont fait part de leurs préoccupations au sujet de ce projet de loi, qui aggrave une situation délicate en partant, un manque de clarté, et cetera, dans le secteur des ressources […]

Je pense donc que tous les sénateurs qui siègent au Comité des peuples autochtones devront probablement reconnaître qu’il y a des gens qui doutent sérieusement que le projet de loi C-15 marque l’avènement d’une nouvelle ère de réconciliation et de consultation, comme le prétend le gouvernement.

En résumé, le gouvernement prétend que ce projet de loi permettra d’accomplir plusieurs choses. Premièrement, il prétend qu’il marquera l’avènement d’une nouvelle ère de réconciliation. Deuxièmement, il prétend qu’il amènera davantage de certitude et moins de poursuites dans les dossiers touchant les Autochtones. Troisièmement, il affirme que le gouvernement a mené de vastes consultations, y compris avec les détenteurs de droits, l’industrie et les provinces.

Qu’en est-il de ces consultations avec les provinces? Qu’en est-il des opinions des représentants du secteur canadien des ressources et de celles des Premières Nations qui collaborent avec notre secteur des ressources? Quels sont leurs points de vue?

Nous savons qu’une province, la Colombie-Britannique, appuie le projet de loi. Toutefois, Arlene Dunn, la ministre des Affaires autochtones du Nouveau-Brunswick, a été très claire au sujet du projet de loi devant notre comité :

Personne ne conteste que les peuples autochtones aient des droits au Canada, des droits individuels et collectifs. L’article 35 de la Constitution du Canada reconnaît et confirme explicitement les droits ancestraux existants ainsi que les droits issus de traités.

Personne ne prétend le contraire. Par contre, la ministre a ajouté ceci en parlant plus précisément du projet de loi C-15 :

Mais le projet de loi C-15 donnerait, à notre avis, de nouveaux droits qui ne sont pas prévus dans notre Constitution, ce qui nuirait à la croissance et à la prospérité à long terme du Canada. Nous craignons que ce projet de loi ne donne à un groupe particulier un droit de veto absolu sur le développement économique sans tenir compte des intérêts des autres membres de la société canadienne.

Voilà l’analyse que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a présentée à notre comité. Ce n’est peut-être pas une opinion partagée par tous, mais il nous incombe de ne pas en faire fi. Après tout, c’est notre responsabilité d’exercer un second examen objectif en vertu de la Constitution. Ce ne sont pas que des mots qui sonnent bien. Je crois que nous avons la responsabilité d’agir en conséquence de temps à autre.

Le problème plus grave, c’est que plusieurs provinces sont du même avis que le Nouveau-Brunswick. Six provinces — l’Alberta, l’Ontario, le Québec, la Saskatchewan, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick — ont en effet écrit au premier ministre pour lui faire part de leurs inquiétudes au sujet du projet de loi C-15. Ce sont des provinces que le gouvernement a abondamment consultées. Dans leur lettre au premier ministre du Canada, les premiers ministres provinciaux ont déclaré ce qui suit :

Nous estimons que le gouvernement fédéral n’a pas pris suffisamment en considération nos préoccupations, et qu’il ne nous a pas consultés de manière pertinente [...]

 — intéressant —

[...], pas plus que les communautés ou les organisations autochtones d’ailleurs, à l’égard de ce projet de loi. Chacune de nos provinces a pris des mesures positives pour faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones et leur prospérité dans nos compétences respectives. [...] À ce jour, votre démarche relativement à l’adoption du projet de loi C-15 est contraire aux principes du fédéralisme coopératif qui exigent une collaboration pertinente et substantielle avec les provinces. La collaboration à l’égard de ce projet de loi a été insuffisante et ne tient pas compte des préoccupations des provinces. [...] Le projet de loi C-15, tel qu’il est rédigé, pose un problème et aura des conséquences importantes et d’une portée considérable, tant pour le gouvernement fédéral que pour les provinces et, potentiellement, pour les populations autochtones.

Selon la lettre des six premiers ministres provinciaux, le projet de loi C-15 risque d’avoir pour effet de remplacer le cadre de jurisprudence existant par « des décennies d’incertitude juridique qui mettront en péril les investissements et l’avancement de la réconciliation ».

Nous devons prendre cet avertissement très au sérieux. On parle en effet de « décennies d’incertitude juridique », pour reprendre l’expression utilisée dans la lettre.

Honorables sénateurs, qui en paiera le prix? Ce ne sera sûrement pas les avocats comme le ministre Lametti, ni les organisations autochtones bien financées, ni les chercheurs qui se trouvent dans les universités canadiennes ou au Sénat et qui appuient ce projet de loi. Non. Les premiers à en payer le prix seront probablement les Canadiens ordinaires, notamment les Canadiens autochtones, dont l’emploi et le gagne-pain dépendent de la certitude entourant les projets.

Les mises en garde que les premiers ministres provinciaux adressent au premier ministre sont d’autant plus préoccupantes que le comité les a aussi entendues de la part de témoins qui représentaient le secteur canadien des ressources.

Brian Schmidt est président-directeur général de Tamarack Valley Energy. Lorsqu’il a comparu devant le comité, il a dit que l’industrie des ressources et les peuples autochtones avaient un intérêt commun pour le développement responsable des ressources. Il a affirmé que le développement était la pierre d’assise de la prospérité des peuples autochtones.

C’est ce qu’a confirmé Dale Swampy, membre de la nation crie de Samson, en Alberta, et président de la Coalition nationale des chefs. Voici ce qu’a dit M. Swampy :

[...] la communauté autochtone du Canada fait face à une crise de pauvreté. La pauvreté a détruit la majeure partie de la structure familiale dont nos communautés étaient fières. La perte de notre structure familiale nous a rendus dépendants d’une société d’aide sociale [...]

La coalition est d’avis que cette pauvreté a causé ces maux sociaux et que la seule façon de les éliminer est de vaincre la pauvreté [...] La meilleure façon d’obtenir des emplois sera par l’entremise de notre plus grande industrie au Canada, l’industrie des ressources naturelles.

Je sais que certains sénateurs dans cette enceinte s’imaginent que nous pouvons nous passer du secteur des ressources. Or, ce secteur représente 10 % du PIB du Canada et emploie directement près de 300 000 personnes. Indirectement, le secteur soutient plus d’un demi-million d’emplois canadiens. Beaucoup de ces travailleurs sont issus de communautés autochtones du pays.

Le secteur est ici pour de bon. Les redevances et les impôts qu’il génère soutiennent les programmes sociaux. La dernière chose que le pays devrait faire, c’est de créer encore plus d’incertitude pour le secteur. Pourtant, selon les témoins entendus, c’est exactement ce que le projet de loi C-15 pourrait faire.

Je cite encore une fois Brian Schmidt :

[...] le projet de loi C-15, tel qu’il est proposé, créera plus d’incertitude pour notre industrie et pour l’exploitation des ressources dans son ensemble au Canada. Cela signifie que nous ne pourrons pas attirer les investissements des marchés financiers et que des projets de plusieurs milliards de dollars qui auraient valu la peine ne verront pas le jour.

Lorsque toutes les associations industrielles — l’hydroélectricité, les mines, l’électricité, la foresterie et le pétrole — vous disent qu’une mesure législative aura des répercussions négatives sur les investissements, veuillez au moins écouter nos préoccupations.

M. Schmidt a fait écho aux appels des six provinces en disant que des amendements raisonnables dissiperaient cette incertitude. Pourtant, le gouvernement refuse d’accepter de tels amendements, même si le ministre Lametti a indiqué que le gouvernement fédéral n’avait pas l’intention de renverser la jurisprudence s’appliquant à l’obligation de consulter et d’accommoder.

Au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, les amendements très raisonnables que le sénateur Patterson a proposés ont encore une fois été rejetés par la majorité des membres du comité, qui sont nommés par le gouvernement. Ce manque de clarté pose un risque significatif pour le secteur des ressources, pour les communautés autochtones qui dépendent du secteur des ressources et pour le Canada dans son ensemble.

Shannon Joseph, qui est la vice-présidente des Relations gouvernementales et des affaires autochtones de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, a également témoigné au comité. Elle aussi s’est montrée très claire à l’égard des conséquences potentielles. Voici ce qu’elle a dit :

Nous appuyons l’objectif de faciliter et d’élargir la participation des Autochtones et le développement des ressources dans le cadre de la réconciliation économique. Cela dit, une loi ambiguë rendra cette participation plus difficile et incitera les investisseurs à transférer leurs capitaux à des milieux où toutes les parties sont conscientes de leurs obligations et savent s’en acquitter de façon pertinente et opportune.

Pourquoi diable voudrions-nous prendre le risque d’un tel résultat? À mon avis, en adoptant ce projet de loi tel quel, nous manquerions à notre devoir fondamental à titre de sénateurs. En effet, chers collègues, les sénateurs ont l’obligation nette de défendre l’intérêt des minorités, de même que l’intérêt de notre région et de notre province. J’oserais dire que s’il y a une occasion où un second examen objectif s’impose, plutôt que le conformisme aveugle pour des raisons idéologiques, c’est bien à l’égard de ce projet de loi.

Je crains, et selon moi, les témoignages le confirment, que ce projet de loi est un coup de dés de la part du gouvernement.

Des fonctionnaires du gouvernement ont dit en privé au porte-parole de notre parti pour ce projet de loi, le sénateur Patterson, que le projet de loi ne veut rien dire, qu’il oblige seulement le gouvernement à produire un plan d’action à l’égard duquel il n’est même pas tenu d’obtenir le consentement des Autochtones avant d’apporter la touche finale. Ces fonctionnaires ont peut-être raison. Le cas échéant, les déclarations des ministres ne feront que susciter des attentes en vain.

Imaginez les conséquences de la déception qui s’ensuivra une fois que le plan d’action du gouvernement aura fait l’objet du même genre de consultations que le projet de loi. Imaginez la réaction si le gouvernement tente réellement de mettre la touche finale au plan d’action sans obtenir le consentement des détenteurs de droits. Je crois que nous sommes tous conscients de la forte probabilité d’un tel résultat, étant donné le niveau de consultations effectuées par le gouvernement relativement au projet de loi proprement dit.

Y a-t-il quelqu’un qui croit sérieusement que le gouvernement se mettra soudainement à mener de vastes consultations auprès des détenteurs de droits et qu’il va enfin parachever en seulement deux ans un plan d’action qui répondra aux attentes de tous ces détenteurs de droits?

Il ne l’a pas fait pour ce projet de loi, ni même pour quelque chose de très ciblé comme le plan d’action concernant les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ceux qui croient que cela va se produire soudainement à l’égard du plan d’action prévu dans ce projet de loi prennent leurs désirs pour des réalités.

Par ailleurs, si les préoccupations que les détenteurs de droits ont soulevées devant notre comité et les craintes dont les provinces ont fait part au premier ministre par écrit s’avéraient fondées, que se passerait-il? Qu’arrivera-t-il si ce projet de loi nous maintient dans l’incertitude et donne lieu à des litiges et à des pertes d’investissements? Dans ce cas, les communautés autochtones qui sont tributaires du développement seront les premières à souffrir des conséquences. En quoi est-ce dans l’intérêt de qui que ce soit, y compris la population autochtone en général?

Il est évident, chers collègues, que les consultations menées à l’égard de ce projet de loi sont inadéquates. Il ne fait aucun doute qu’il y a beaucoup d’incertitude entourant divers éléments de ce projet de loi. La majorité des provinces s’y opposent. Nombre de détenteurs de droits n’ont pas accordé leur consentement à l’égard d’un projet de loi qui, paradoxalement, porte justement sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Chers collègues, pour ces raisons, je crois que le projet de loi devrait être rejeté. Compte tenu des conséquences qu’il pourrait avoir, j’exhorte tous les sénateurs à le rejeter également.

Il faut dire au gouvernement qu’il doit reprendre son travail en adoptant vraiment une approche collaborative, responsable et inclusive cette fois-ci. Je suis pleinement conscient qu’il sera loin d’être facile de reprendre les discussions, mais elles pourraient à tout le moins se faire dans un cadre axé sur l’ouverture, l’honnêteté, le dialogue et le respect.

Je crois qu’il serait approprié, chers collègues, que je conclue pour la première fois un discours sur ce projet de loi en disant merci et meegwetch.

https://sencanada.ca/fr/senateurs/plett-donald-neil/interventions/562626/27

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