Discours sur la motion visant à authorizer l’étude préalable du projet de loi C-13

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler de la motion 41. Comme vous le savez, cette motion est très semblable à la motion 42, dont nous débattrons également plus tard aujourd’hui.

Je m’oppose à ces deux motions pour les mêmes raisons et je ferai donc la plupart de mes remarques sur la motion qui nous occupe maintenant, bien que mes arguments s’appliquent également aux deux motions.

La motion dont nous sommes saisis demande :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, déposé à la Chambre des communes le 1er mars 2022, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir, même si le Sénat siège à ce moment-là ou est alors ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Chers collègues, l’étude préalable est un outil légitime que le Sénat peut utiliser à sa discrétion. Elle a été utilisée à maintes reprises dans le passé et le sera sans aucun doute à nouveau. Cependant, lorsque le Sénat envisage d’autoriser ou non une étude préalable, il est impératif qu’il considère si la demande constitue une utilisation légitime de cet outil.

Le Règlement du Sénat n’indique aucun critère pour le moment où il faudrait effectuer des études préalables. L’article 10-11(1) énonce simplement :

Le Sénat peut saisir un comité permanent de la teneur d’un projet de loi qui a pris naissance à la Chambre des communes, avant que celle-ci lui transmette ce projet de loi.

Cela signifie, chers collègues, que, pour déterminer ce qui constitue un recours légitime à une étude préalable, nous devons jeter un coup d’œil aux pratiques historiques du Sénat; ensuite, nous devons envisager pour quelle raison on nous demande de procéder ainsi dans ce contexte.

Ces 150 dernières années, 193 études préalables ont été approuvées par le Sénat. C’est moins de quatre projets de loi par année. De ces derniers, 103 concernaient des projets de loi étudiés par le Comité des finances nationales ou le Comité des banques, et la majorité visaient à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu, la Loi sur les banques et la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

En d’autres mots, ces études préalables concernaient habituellement la teneur de projets de loi budgétaires ou d’autres mesures politiques bénéficiant d’un fort appui. L’enjeu à considérer lors des études préalables était rarement si la mesure devait être appliquée, mais plutôt de quelle façon elle devrait l’être.

Ces études préalables ont été lancées à des fins procédurales ou stratégiques. Voilà une utilisation légitime des études préalables au Sénat.

Les études préalables autorisées à des fins procédurales se divisent grossièrement en trois catégories. Premièrement, elles peuvent être entreprises avec l’objectif de demander des amendements à un projet de loi avant son adoption par la Chambre des communes. Cela sert à empêcher que les deux chambres se renvoient sans cesse la balle en proposant des amendements.

Pour éviter cela, le gouvernement demande alors au Sénat d’étudier un projet de loi à l’avance pour que tout amendement proposé puisse être incorporé au projet de loi du côté de la Chambre des communes. La dernière fois qu’une étude préalable a été utilisée à cette fin, c’était pour le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois, en 2014. Le 24 mars 2015, le sénateur Grant Mitchell a dit que, selon lui, c’était une excellente raison de faire une étude préalable. Je vais citer le sénateur Mitchell. Je ne vais pas imiter sa voix, même si j’aimerais essayer de le faire :

Il n’y a pas si longtemps, dans le cas de la Loi sur l’intégrité des élections, nous avons vu qu’une étude préalable du Sénat pouvait mener à des amendements qui ont été acceptés par la Chambre des communes avant que le projet de loi ne nous soit renvoyé, à la condition que les travaux se fassent en parallèle. Étant donné cette expérience et le fait que le ministre affiche une certaine ouverture, j’estime que nous avons un argument de bonne tenue pour demander une étude préalable.

Je n’ai pas été très souvent d’accord avec le sénateur Grant Mitchell, mais je le suis dans ce cas-ci. C’est un exemple de situation où une étude préalable est justifiée. Cependant, honorables collègues, nous ne sommes pas dans ce genre de situation aujourd’hui.

Le deuxième motif légitime pour que la Chambre des communes demande au Sénat de faire une étude préalable, c’est lorsqu’elle veut tirer parti de l’expertise du Sénat. Si le gouvernement estime qu’un projet de loi sera mieux étudié au Sénat qu’à la Chambre — et c’est souvent le cas —, parce qu’il s’agit d’un projet de loi de nature très technique et parce que le Sénat a une expertise en la matière, alors il est logique de faire une étude préalable.

En 2019, nous avons constaté la même chose avec le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, et le projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Chers collègues, dans ces deux cas, le Sénat disposait d’une expertise à laquelle la Chambre s’est fiée pour améliorer la mesure législative. Le Comité des peuples autochtones a apporté de multiples amendements, dont beaucoup ont été acceptés par la Chambre et incorporés aux projets de loi.

À de nombreuses autres occasions, le gouvernement a puisé dans l’expertise du Sénat dans le cadre d’une étude préalable approfondie effectuée sur des projets de loi concernant la Loi sur les banques, des mesures législatives antitrust et d’autres encore. Il existe donc des exemples d’une utilisation légitime des études préalables.

Cependant, en ce qui concerne les deux projets de loi dont nous parlons aujourd’hui, rien n’indique que c’est l’intention du gouvernement. Au contraire, le Sénat semble être perçu un peu comme un élément perturbateur que le gouvernement espère pouvoir écarter le plus rapidement possible.

Le troisième motif légitime pour entreprendre une étude préalable consiste à accélérer l’adoption d’un projet de loi une fois que le Sénat en est saisi. Nous l’avons constaté lors du recours aux études préalables pour des mesures budgétaires, pour des projets de loi liés à la COVID et pour des projets de loi découlant d’une décision de la Cour suprême, qui sont assortis d’une échéance.

Par exemple, le Sénat a mené une étude préalable en 2014 sur le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d’autres lois en conséquence. La Cour suprême avait invalidé une partie du Code criminel et donné une date limite au Parlement pour reformuler les mesures législatives. Une étude préalable était nécessaire et légitime pour assurer le respect de cette date limite.

Il s’est passé la même chose dans le cas du projet de loi C-14 sur le suicide assisté. Le Parlement avait une courte période pour donner suite à la décision de la cour. Le Sénat a pris cette obligation au sérieux et a mené une étude préalable.

La situation s’est répétée avec le projet de loi C-7, lorsque la mesure législative sur le suicide assisté a dû être modifiée en raison d’une autre décision de la cour. Tous ces cas sont d’excellents exemples du recours légitime à une étude préalable dans le but de répondre à l’urgent besoin d’adopter un projet de loi. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas le cas du projet de loi C-11 ou du projet de loi C-13.

Aucun mandat imposé par la cour ni aucune date d’échéance imminente ne nous poussent à nous dépêcher. Au contraire, chers collègues, il nous faut suffisamment de temps pour mettre en lumière tout le contenu de ces projets de loi. Il n’y a pas de consensus sur ces questions, et les inquiétudes sont nombreuses.

Lorsque le gouvernement est à la recherche d’amendements de façon anticipée ou qu’il prévoit de s’en remettre intentionnellement à l’expertise du Sénat, ou encore lorsqu’il est nécessaire d’accélérer l’adoption d’un important projet de loi urgent, le recours aux études préalables est légitime.

C’est ce que nous avons vu pendant les années du gouvernement Harper.

Entre 2006 et 2013, des études préalables ont été menées pour sept projets de loi budgétaires, deux projets de loi modifiant le Code criminel et deux projets de loi sur l’assurance-emploi.

Entre 2013 et 2015, pendant la deuxième session de la 41e législature, des études préalables ont été menées pour quatre projets de loi budgétaires en vue d’accélérer leur mise en œuvre : deux projets de loi sur les affaires autochtones ou du Nord parce que le Sénat possédait une expertise en la matière; ainsi qu’un projet de loi sur la Loi électorale du Canada parce que beaucoup de sénateurs qui siégeaient à l’époque étaient ou avaient été des représentants de leur parti et possédaient donc une grande expertise en matière électorale.

Par ailleurs, la Chambre des communes a attendu que le comité sénatorial suggère des modifications à la Loi électorale du Canada pour pouvoir les intégrer dans la mesure législative sur cette loi.

De plus, on a réalisé l’étude préalable d’un projet de loi modifiant le Code criminel. Ce projet de loi, que j’ai mentionné plus tôt, proposait ces modifications en réponse à une décision de la Cour suprême sur la prostitution. On a également effectué une étude préalable sur la citoyenneté et une autre sur la sécurité nationale.

Par conséquent, en 9 ans, des études préalables ont été menées pour 11 projets de loi budgétaires. En outre, 10 projets de loi non budgétaires ont fait l’objet d’une telle étude, pour une moyenne d’un par année, y compris des mesures législatives de nature urgente ou portant sur des sujets dans lesquels le Sénat se spécialisait.

C’est tout à fait différent de ce que le leader du gouvernement au Sénat propose aujourd’hui.

Même s’il existe des raisons procédurales et stratégiques légitimes d’entreprendre des études préalables, les études préalables que l’on nous demande d’approuver aujourd’hui ne sont motivées que par des fins politiques. Au lieu de chercher à améliorer le projet de loi, le gouvernement semble déterminé lui faire éviter le second examen objectif afin d’en accélérer inutilement l’adoption. Chers collègues, cela ne correspond pas au rôle du Sénat.

Or, ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente de recourir à des études préalables pour compenser son incompétence.

En 2017, l’ancien sénateur Joseph Day avait déclaré :

La Chambre des communes ne devrait pas tenir pour acquis que nous allons contourner nos pratiques habituelles et traditionnelles afin de pallier sa difficulté à gérer son programme.

Notre collègue récemment retraité, le sénateur Mercer, avait alors ajouté :

Cette étude préalable continuera de permettre aux députés à la Chambre des communes de traiter les sénateurs avec peu ou pas de respect. Elle continuera de leur permettre d’être trop paresseux pour faire leur travail avec diligence. Les Canadiens s’attendent à mieux. Les électeurs s’attendent à mieux [...]

J’ai un message pour les députés : arrêtez de nous faire perdre notre temps, relevez-vous les manches et faites votre travail. La population s’attend à ce que les députés fassent leur travail. Nous nous attendons à la même chose, parce que tout le monde sait que nous sommes prêts à faire le nôtre et que nous n’appuierons pas une étude préalable.

Ainsi soit-il, sénateur Mercer.

Quel que soit le parti au pouvoir, recourir à une étude préalable pour tenter de rattraper le temps perdu est considéré comme une mauvaise idée depuis longtemps.

En 2015, encore une fois, mon ami le sénateur Grant Mitchell a dit :

Le fait de permettre des études préalables ou de se montrer d’accord avec de telles études suscite des préoccupations, en particulier pour l’opposition. On évoque souvent de bonnes raisons. L’une des raisons évoquées est la contrainte temporelle. C’est la raison la moins bonne et, dans bien des cas, on y recourt parce que la Chambre des communes n’a pas accordé au Sénat le respect qu’elle lui doit et s’est contentée de lui balancer le projet de loi à la dernière minute.

Chers collègues, je ne suis pas contre l’idée que le Sénat autorise la tenue d’études préalables pour des raisons légitimes. Toutefois, ce n’est pas le cas ici.

La Chambre ne cherche pas à obtenir des amendements de façon préventive et proactive et elle n’a pas l’intention de demander l’avis du Sénat par déférence pour notre expertise; il n’y a pas non plus de projets de loi critiques et urgents à adopter. Le gouvernement veut seulement que nous nous dépêchions.

Le gouvernement et son représentant au Sénat veulent normaliser le recours aux études préalables parce que, d’après eux, elles permettent au Sénat d’« avoir suffisamment de temps pour bien étudier et débattre les projets de loi, peu importe qu’ils arrivent rapidement ou tardivement ».

Je vais, une fois de plus, citer le sénateur Gold :

[...] l’examen préalable de projets de loi est en notre pouvoir, et cela nous laisse le temps d’étudier minutieusement les mesures législatives sans les contraintes de temps [...]

Chers collègues, en tout respect, c’est absurde. Il n’est pas nécessaire que le Sénat effectue des études préalables pour que nous ayons assez de temps pour faire notre travail correctement. Nous sommes maîtres de notre échéancier; le gouvernement n’a pas à y mettre son nez.

L’argument absurde présenté par le sénateur Gold est qu’il faudrait précipiter l’étude des projets de loi maintenant afin de ne pas avoir à la précipiter plus tard. D’après moi, nous ne devrions jamais la précipiter.

La mesure législative dont parle le sénateur Gold ne fait pas partie d’une loi d’exécution du budget. Elle ne modifie pas la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle ne met pas non plus en œuvre une politique déjà examinée et approuvée par l’autre endroit. En fait, il y a tout lieu de croire qu’avant que le Sénat ne reçoive l’un ou l’autre de ces projets de loi, ils auront été amendés à l’autre endroit, ce qui rendra possiblement notre travail inutile et se soldera par une perte de temps.

Le député Chris Bittle, qui est secrétaire parlementaire du ministre du Patrimoine canadien, a reconnu il y a quelques mois que le projet de loi C-11 pourrait fort bien faire l’objet d’amendements. Il avait en effet déclaré à ce moment-là :

Nous avons hâte que le projet de loi soit renvoyé au comité et que nous discutions des moyens de l’améliorer tout en veillant à ce que ses principes et ceux que nous et le ministre avons énoncés soient respectés. Il y a de la place pour les modifications et la discussion, et c’est au comité qu’il revient d’intervenir.

Le Sénat a pour tâche d’effectuer un second examen objectif, mais c’est plutôt difficile à faire s’il n’a même pas reçu la version définitive du projet de loi à examiner.

Ce problème n’est pas nouveau. Notre ancienne collègue, la sénatrice Joan Fraser, l’avait soulevé en 2014 dans les termes suivants :

Comme le leader de l’opposition vient de le demander, quel sera exactement l’objet de l’étude? Nous ne savons pas ce que va nous soumettre la Chambre des communes. Après avoir écouté en fin de semaine diverses entrevues avec le ministre responsable, M. Poilievre, j’ai cru comprendre que le comité de la Chambre des communes sera saisi du projet de loi pendant un mois. Est-ce que le projet de loi sera le même quand le comité aura complété son étude? Si la réponse est non, pourquoi faisons-nous cet examen préalable?

Le sénateur Mercer a formulé une observation semblable en 2017 :

J’ai une question fondamentale. Imaginons que nous ayons le temps d’effectuer l’étude préalable et qu’entre-temps, au bout du couloir, les députés apportent un changement au budget, parce qu’ils ont repéré et corrigé une erreur. Alors quoi? Nous serions en train de perdre notre temps à étudier un budget qui n’est pas le bon? Nous voulons étudier le budget qui nous sera présenté.

La semaine dernière, la ministre Petitpas Taylor a lancé des consultations pour préparer le plan d’action 2023-2028 pour les langues officielles. Cette série de consultations est d’une importance cruciale cette année, car elles serviront d’assises aux travaux des parlementaires sur le projet de loi C-13. Par conséquent, pourquoi le gouvernement est-il si pressé de voir le projet de loi C-13 franchir l’étape de l’étude en comité alors qu’il lance des consultations auprès de la population canadienne sur les améliorations à apporter à ces mesures législatives en vue de leur application? Chers collègues, ne serait-il pas plus logique que le Sénat attende le résultat des consultations avant d’examiner le projet de loi?

Chers collègues, la seule raison qui justifierait que le Sénat accélère son examen d’un projet de loi serait de faciliter la mise en œuvre du programme politique du gouvernement en prévision d’une motion d’adoption dans l’autre endroit. Cette tentative est un affront au rôle des sénateurs, surtout quand le premier ministre souhaite que le Sénat soit apolitique.

Voici ce qu’a dit le sénateur Gold :

En ma qualité de représentant du gouvernement, je vous dis que je ne sais pas quand ce projet de loi nous sera renvoyé. Il s’agit néanmoins d’une priorité absolue pour le gouvernement qui fait tout en son pouvoir pour qu’il franchisse la ligne d’arrivée.

Ainsi, parce que ce projet de loi est « une priorité absolue pour le gouvernement », nous devrions, semble-t-il, tout simplement rentrer dans le rang et accélérer son entrée en vigueur.

Je rappelle au sénateur Gold que la majorité suffisante que le gouvernement a réussi à négocier dans le cadre de l’entente de soutien et de confiance ne lui donne pas une véritable majorité aux yeux du public. Du point de vue politique, les libéraux ont obtenu une minorité au Parlement. Il est donc absurde de prétendre que ce qui est une priorité pour eux devient immédiatement une priorité pour tous les Canadiens, et que le Sénat devrait traiter le gouvernement comme s’il était majoritaire.

Si le gouvernement néo-démocrate—libéral souhaite accélérer les travaux, il dispose d’outils pour le faire. Il a la majorité des votes à l’autre endroit. Il n’a pas besoin de notre aide pour accomplir son travail.

Je constate que, bien que le gouvernement ait une majorité suffisante à la Chambre des communes, il n’arrive toujours pas à traiter les dossiers dans des délais raisonnables. Ce n’est toutefois pas à nous, chers collègues, de régler ce problème.

Chers collègues, il est légitime de procéder à des études préalables quand il existe de bonnes raisons de le faire. Le gouvernement actuel cherche toutefois à se servir de cet outil pour pallier sa propre incompétence. Je dirais aussi que lorsqu’un gouvernement s’empresse soudainement de faire adopter un projet de loi alors que ni les procédures ni les politiques ne justifient clairement cette hâte, nous avons tout intérêt à prendre le temps de regarder attentivement de quoi il retourne.

Contrairement à ce que le gouvernement aimerait nous faire croire, le temps est un ingrédient essentiel au processus démocratique, surtout quand il s’agit de mesures aussi controversées que les deux projets de loi dont il est question.

Avec du temps, on peut mieux informer le public, on peut débattre davantage et on peut rallier les Canadiens à sa cause. Chers collègues, il n’y a pas que les sénateurs qui doivent être convaincus du bien-fondé des mesures législatives, les Canadiens aussi; mais pour cela, il faut du temps.

C’est une bien mauvaise façon de créer des politiques publiques que de les faire étudier concurremment par la Chambre des communes et le Sénat, car tout le monde a alors l’impression qu’on les fait passer par le Parlement à toute vitesse, ce qui peut seulement alimenter le cynisme et la méfiance des Canadiens.

Dans le contexte actuel, j’estime que c’est la dernière chose dont nous ayons besoin. Nous devons rétablir la confiance du public dans nos institutions, et nous devons prendre le temps nécessaire pour y parvenir. Autrement, nous ne faisons que jeter de l’huile sur le feu de la désinformation et du conspirationnisme.

La sénatrice Dasko a résumé le sentiment de bon nombre d’entre nous lorsqu’elle a dit :

On doit aussi nous rassurer que le comité aura le temps nécessaire pour faire son travail. Quand j’entends parler de l’urgence d’adopter un projet de loi, je ne peux m’empêcher de me demander si nous aurons vraiment le temps de l’examiner. Si on ne cesse pas de nous répéter qu’il est urgent de l’adopter, cela nous amène certes à nous demander si nous aurons le temps voulu.

Il y a effectivement de quoi s’interroger, chers collègues. D’un côté, on nous répète que personne ne nous pousse dans le dos, mais de l’autre, la motion à l’étude demande que les comités puissent siéger en même temps que le Sénat, et même quand celui-ci est ajourné. « C’est urgent, mais prenez votre temps. Mais pas trop, quand même, parce qu’il s’agit d’un dossier prioritaire. »

Rien ne justifie ces études préalables, alors il est de notre devoir de rejeter les motions qui les proposent.

Honorables sénateurs, le second examen objectif que caractérise le Sénat est capital, car cela signifie que nous jetons un œil attentif et minutieux aux mesures législatives que l’autre endroit nous renvoie. Nous devons avoir recours aux études préalables avec parcimonie et ne les autoriser qu’en présence de motifs légitimes et clairement expliqués.

Encore une fois, en 2017, le sénateur Day a dit ceci :

Je me méfie généralement de l’étude préalable. Je sais qu’elle est prévue dans le Règlement. Je sais qu’elle peut être un outil utile de temps à autre. Cependant, j’estime qu’elle nous empêche de jouer notre rôle de Chambre de second examen objectif. Elle nous impose un rôle parallèle à celui de la Chambre des communes, ce qui m’a toujours préoccupé [...]

Les études préliminaires détournent notre attention de notre rôle traditionnel de second examen objectif.

C’est pourquoi, comme le dit le sénateur Harder, ces études doivent seulement être menées à l’occasion. Voici ce qu’a affirmé le sénateur Harder en mai 2018 :

[…] cette Chambre mène à l’occasion des études préalables lorsque les circonstances s’y prêtent. Évidemment, le Sénat l’a fait plus régulièrement à l’égard des questions budgétaires.

La sénatrice Raynell Andreychuk a fait la même remarque en 2011 — lorsque les conservateurs étaient au pouvoir, soit dit en passant — lorsqu’elle a dit que « l’étude préliminaire ne fait pas partie de la procédure normale de renvoi aux comités ».

Au lieu de nous permettre de mieux travailler, les études préalables — qui n’ont pas de fondement légitime — entravent nos travaux. Elles ne nous permettent pas d’examiner les mesures législatives en bonne et due forme et nous empêchent de jouer notre rôle de Chambre de second examen objectif.

Chers collègues, j’ai beaucoup de mal à comprendre la raison pour laquelle cette motion a été présentée. D’ici à ce que nous entamions les études préalables pour ces projets de loi, il ne nous restera que deux ou trois semaines avant la pause estivale. Je ne sais pas comment interpréter cela. Le gouvernement s’attend-il à ce que nous bouclions en deux ou trois semaines des études préliminaires sur des projets de loi extrêmement controversés? En général, les comités ne peuvent se réunir qu’une fois par semaine.

Que se passera-t-il si la Chambre des communes réussit à nous renvoyer les projets de loi avant le mois de juillet? Le gouvernement s’attend-il à ce que nous débattions de ces projets de loi avant l’ajournement d’été? Dans ce cas, le gouvernement prévoit-il de faire siéger la Chambre des communes durant l’été afin d’étudier nos amendements? C’est peu probable. Sénateurs, nous savons tous que le gouvernement ne le fera pas. Il serait bien content que nous adoptions ces projets de loi à toute vitesse au Sénat et même que nous siégions en juillet, mais en aucun cas il ne serait en mesure d’étudier les amendements avant fin septembre, au plus tôt. Le seul objectif de ces études préalables est de nous inciter à précipiter notre travail au lieu de prendre le temps nécessaire pour bien le faire.

À ce stade, je ne peux pas m’empêcher d’être en parfait accord avec les mots prononcés par mon amie la sénatrice Jane Cordy en avril 2014 :

Honorables sénateurs, si je pensais que la tenue d’une étude préalable pouvait changer quoi que ce soit, je serais la première à en réclamer une, mais je crois plutôt qu’elle ne changera absolument rien. Si je pensais que les Canadiens pourraient mieux se faire entendre si nous tenions une étude préalable, je serais la première à dire que c’est la voie à suivre, mais je ne crois pas que ce sera le cas. Si je pensais que la tenue d’une étude préalable donnerait le temps au comité de sillonner le pays pour donner la chance à tous les Canadiens d’exprimer leur point de vue, je serais la première à me déclarer en faveur d’une étude préalable mais [...] ce serait étonnant.

Chers collègues, l’étude préalable doit être utilisée lorsqu’il y a urgence, ce qui n’est le cas d’aucun des projets de loi concernés. Le gouvernement a attendu des années avant de les déposer et il a même retardé leur adoption en prorogeant le Parlement et en déclenchant des élections inutiles dont aucun Canadien ne voulait.

Le sénateur Gold essaie de justifier l’injustifiable. Nous devrions voter contre ces motions, chers collègues, et revenir aux bons et importants travaux du Sénat.

Merci.

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