Discours sur la motion tendant à autoriser les séances hybrides

Honorables sénateurs, j’interviens moi aussi pour participer au débat sur le préavis de motion du gouvernement concernant les séances hybrides.

Avant de commencer mes observations, permettez-moi de dire quelques mots, chers collègues. Parfois, lorsque quelqu’un ne donne pas suffisamment d’information, les gens se mettent à échafauder des hypothèses et des rumeurs commencent à circuler, et bientôt on commence à recevoir toutes sortes de bons vœux, de pensées positives et ce genre de choses, et on vous dit qu’on espère vous revoir bientôt. Je ne sais pas à quel point les gens sont sérieux quand ils disent cela, mais je les en remercie. Maintenant, je sais comment obtenir la sympathie de mes collègues. J’apprécie tous les bons souhaits qu’on m’a transmis, mais je tiens à rassurer les sénateurs : le léger problème médical dont je souffre sera totalement réglé en étant loin de vous tous pendant un certain temps.

Si je peux aller me reposer, je reviendrai, peut-être avant Noël, mais certainement l’an prochain, pour continuer de vous faire damner. Comme je serai peut-être absent jusqu’à l’an prochain, je profite de l’occasion pour vous souhaiter à tous des Fêtes merveilleuses et sécuritaires, une bonne année et un joyeux Noël, et je compte bien vous revoir tous à tout le moins l’an prochain.

Trêve de bavardages. Je reconnais d’emblée qu’il est impératif de prendre des mesures adéquates pour assurer la sécurité de tous les sénateurs, leur personnel et les employés de l’Administration du Sénat. Cela n’est pas remis en question, mais il y a lieu de se demander si les séances hybrides sont nécessaires pour y arriver. Selon moi, elles ne le sont pas.

En fait, non seulement les séances hybrides ne sont pas nécessaires, à mon avis, mais elles sont contraires aux directives de santé publique actuelles, en plus de compliquer et de ralentir notre travail. Je m’explique.

Apparemment, on se sort de la pandémie un peu partout dans la ville d’Ottawa, sauf, chers collègues, dans la Cité parlementaire.

Le 9 octobre, le gouvernement de l’Ontario a levé les limites de capacité pour permettre une capacité de 100 % dans les salles de concert, les théâtres et les cinémas; les lieux de réunions et d’événements; les zones réservées aux spectateurs dans les installations sportives; les hippodromes, les pistes de course automobile et les lieux de production de télévision accueillant un auditoire en studio.

Cela signifie qu’à partir du 9 octobre, 18 652 personnes entièrement vaccinées et portant un masque peuvent assister à un match des Sénateurs d’Ottawa au Centre Canadian Tire à Ottawa. Elles affluent dans le hall. Elles font la file pour acheter de la bière, des hot-dogs, des hamburgers, du café et tout ce qui est offert aux comptoirs de vente. Et une fois qu’elles ont gagné leur siège, elles peuvent retirer leur masque pour déguster ce qu’elles viennent d’acheter.

Cependant, dans un autre édifice d’Ottawa qui accueille des sénateurs, soit l’édifice du Sénat du Canada, nous débattons la question de savoir si 105 sénateurs peuvent se réunir dans une vaste salle de 309 mètres carrés qui a un plafond de 10 mètres.

Quelques semaines plus tard, le 28 octobre, la Ville d’Ottawa a éliminé toutes les limites de capacité liées à la COVID et a annoncé un retour à des niveaux de capacité de 100 % pour les activités récréatives et culturelles à la carte, y compris la location de salles, de piscines et d’arénas. Si la danse est permise, les limites de capacité resteront à 25 %.

Toutefois, chers collègues, à l’exception des pas de danse qui sont parfois esquissés dans la salle pour célébrer les cérémonies d’assermentation, nous n’avons pas l’habitude de danser dans cette enceinte. Par conséquent, selon les directives de santé publique, il n’y a aucune raison de limiter la capacité de l’édifice. Pourquoi n’insisterions-nous donc pas pour en profiter?

Si gouverner le pays et assurer la reddition de comptes et le contrôle des dépenses publiques n’étaient pas des activités essentielles, on pourrait peut-être justifier de façon convaincante le recours aux séances hybrides au Sénat. Cependant, aux dernières nouvelles, les Canadiens veulent toujours que leurs parlementaires se présentent au travail.

Il m’apparaît inadmissible que nous nous attendions à ce que les médecins, les infirmiers, les enseignants et les caissiers chez Costco se présentent au travail alors que nous souhaitons nous prévaloir de l’option de rester à la maison.

Il y a deux semaines, les Canadiens ont pu voir 300 participants du Canada arriver à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, à Glasgow, où ils se sont joints à des milliers d’autres participants. La 26e session de la Conférence des parties devait avoir lieu en novembre 2020, mais elle a été reportée à cause de la pandémie. Cette année, la COP26 a eu lieu comme prévu, et des milliers de militants ainsi que 25 000 délégués de près de 200 pays y ont participé, dont environ 120 chefs d’État.

Nous avons tous vu les reportages dans les médias qui montraient des gens se regrouper, souvent sans respecter la distanciation sociale et parfois sans porter de masque. Juste avant d’arriver à Glasgow, le premier ministre se trouvait à La Haye, où il a réussi à trouver le temps de s’amuser dans un bar de la ville sans porter de masque ni respecter la distanciation sociale. Pourtant, aujourd’hui, nous débattons pour savoir si les sénateurs devraient se présenter au travail ou non.

En ce qui a trait aux cérémonies entourant le discours du Trône de mardi, le contraste de deux images m’a frappé. D’une part, l’huissier du bâton noir du Sénat, notre très cher M. Greg Peters, a risqué sa vie en marchant dans la Chambre des communes, qui était presque pleine, pour y livrer un message. D’autre part, son parcours au Sénat était on ne peut plus différent, puisque les sénateurs y étaient dispersés et peu nombreux. Je suis soulagé que M. Peters ait survécu à sa visite à l’autre endroit, puisque celui-ci était bondé.

Chers collègues, je tiens à me montrer clair. Bien que je fasse un peu d’humour, je ne cautionne pas l’insouciance ni une attitude désinvolte par rapport au virus ou à la pandémie. Je fais cette suggestion parce que les directives de la santé publique permettent les rencontres en personne à l’heure actuelle. Nous n’avons aucune raison valable de ne pas le faire.

Comme ma collègue, l’honorable Candice Bergen, l’a souligné hier, notre premier ministre a une très bonne raison de souhaiter le maintien des séances hybrides. Elle a déclaré ce qui suit :

La raison pour laquelle Justin Trudeau présente une motion pour maintenir les séances hybrides du Parlement est fort simple : il veut éviter d’avoir à rendre des comptes. Justin Trudeau veut maintenir les séances hybrides pour continuer d’éviter les questions difficiles des députés conservateurs sur l’inflation galopante, ses scandales litigieux et ses plans pour censurer Internet.

Chers collègues, de notre côté, nous n’avons aucune raison de vouloir nous soustraire à la reddition de comptes. Le rôle de chacun d’entre nous est de demander des comptes au gouvernement, pas le contraire. La meilleure manière de remplir notre rôle est d’être présents dans cette enceinte.

Notre nomination au Sénat et notre responsabilité envers les Canadiens doit nous amener à agir selon des normes élevées, pas à suivre la loi du moindre effort. Sinon, nous amplifierons les inquiétudes des Canadiens qui craignent que les décisions soient trop souvent motivées par la peur ou l’aspect pratique des choses au lieu des données scientifiques.

Le fait que les directives de la santé publique ont constamment changé depuis deux ans, à mesure que notre compréhension du virus s’affinait, n’a rien fait pour aider. Le port du masque n’est qu’un exemple. Au début de la pandémie, on nous disait qu’il n’était pas nécessaire de porter un masque. Puis, on nous a dit que c’était peut-être une bonne chose et, finalement, on nous a imposé le port du masque.

Les gens ont été bons joueurs et ont accepté de s’adapter à la situation changeante et de respecter les consignes. Cependant, les gens finissent par se lasser et par devenir cyniques lorsque les règles changent sans arrêt et qu’elles sont déroutantes et incohérentes.

Je vais donner quelques exemples.

L’été dernier, mon garçon a assisté à une partie de volleyball scolaire à laquelle prenait part son fils. Tout le monde dans les gradins devait porter un masque. Même l’arbitre, du haut de sa chaise, devait porter un masque. Comme il était impossible pour l’arbitre d’utiliser son sifflet à travers le masque, on lui avait permis d’y faire une fente pouvoir utiliser son sifflet. S’il est nécessaire de porter un masque pour intercepter les gouttelettes qui pourraient propager la COVID, comment explique-t-on scientifiquement qu’il est possible de souffler à pleins poumons dans un sifflet à l’intérieur pendant une partie de volleyball sans risquer de propager la COVID. Il y a là quelque chose qui m’échappe.

Nous avons passé une bonne partie de notre été sur une propriété que nous louons au bord d’un lac au Manitoba et qui est dotée d’une terrasse extérieure plutôt grande. Les directives sanitaires du Manitoba autorisaient la présence de cinq personnes sur notre terrasse, située, selon toute vraisemblance, en terrain privé. Or, la terrasse est attenante à une propriété publique.

Dès que nous quittions la terrasse, des règles complètement différentes s’appliquaient : les gens pouvaient s’installer sur leur chaise de parterre et il n’y avait pas de limite au nombre de personnes pouvant s’y rassembler, puisque c’était une propriété publique. Je pouvais faire cuire les hamburgers sur ma terrasse puis les distribuer aux gens en dehors de ma terrasse. Ce n’est pas un cas isolé. Ce genre d’histoire abonde.

Je suis conscient que notre compréhension de la science évolue. Les incohérences rendent les gens fous, surtout lorsqu’on leur reproche de signaler ces écarts et de remettre en question ce que les études scientifiques disent vraiment.

Pensons aux gouvernements qui, un jour, menacent de suspendre les gens sans solde s’ils ne sont pas entièrement vaccinés. Lorsqu’ils constatent à quel point cela réduit la main-d’œuvre, ils changent leur fusil d’épaule et reviennent sur leur décision. Que peuvent en conclure les gens? Ces décisions étaient-elles fondées sur des études scientifiques ou sur l’opinion populaire?

Nous disposons désormais d’un vaccin pour les enfants. Je pense que c’est une excellente nouvelle pour les personnes qui veulent faire vacciner leurs enfants. Combien de temps cela prendra-t-il avant que nous n’empiétions sur les droits des parents d’élever leurs enfants en rendant la vaccination obligatoire à l’école? Je me demande pourquoi on rend la vaccination obligatoire en général.

Je me suis fait vacciner, chers collègues, dès que je l’ai pu. Personne ne m’y a contraint ni forcé. Je l’ai fait, car il me semblait que c’était la meilleure solution pour garantir ma sécurité et celle de ceux qui m’entourent. Tout le monde ne partage pas mon opinion et chacun a droit à la sienne.

Je me demande pourquoi on rend la vaccination obligatoire en général, sans remettre en question son utilité. J’encourage toute personne qui peut se faire vacciner à le faire.

Si une personne n’est pas en mesure de la faire, ou si elle a peur, ou si elle pense prendre un plus grand risque en se faisant vacciner, pourquoi ne devrions-nous pas adopter une politique plus représentative que celle proposée par la dictature autocratique que nous avons en guise de démocratie, une politique reflétant davantage les droits et libertés de la personne? La politique qu’on nous propose est un danger pour la société, car elle alimente les peurs et la paranoïa et sape la confiance du public, qui est pourtant essentielle au bon fonctionnement de notre société.

Honorables collègues, quand nous exigeons de pouvoir demeurer à la maison alors que nous insistons pour que les autres se présentent au travail, et que nous n’avons pas de véritable base scientifique pour appuyer l’affirmation selon laquelle il est plus dangereux de se réunir dans cette enceinte que de magasiner chez Walmart, nous renforçons le discours qui nourrit les théories du complot, et nous donnons du pouvoir aux gens voulant ignorer les directives de la santé publique.

Je dirais que nous rassembler en personne pour faire notre travail de sénateurs est non seulement permis par les directives actuelles de la santé publique, que cela ne présente aucun danger et que c’est nécessaire pour pouvoir bien assumer nos responsabilités sénatoriales.

Chers collègues, il y a à peine deux jours, nous avons été témoins de la convocation de huit nouveaux sénateurs. Comme pour tous les sénateurs, ils sont nommés au Sénat du Canada par le gouverneur général. Je cite un extrait de la convocation :

Et Nous vous ordonnons de passer outre à toute difficulté ou excuse et de vous trouver en personne, aux fins susmentionnées, au Sénat du Canada en tout temps et en lieu où notre Parlement pourra être convoqué et réuni, au Canada, sans y manquer de quelque façon que ce soit.

Je me demande parfois si l’anxiété disproportionnée au sujet de la COVID-19 est une difficulté ou une excuse. Quoi qu’il en soit, on nous exhorte à passer outre à toute difficulté et à nous trouver en personne au Sénat du Canada en tout temps et lieu où notre Parlement pourra être convoqué et réuni, au Canada.

Je trouve très préoccupant que près de deux ans après l’arrivée de la pandémie — à un moment où nous sommes entièrement vaccinés, où nous comprenons l’utilité de porter le masque et où la santé publique a donné son aval pour les rencontres en personne —, nous persistions à dire qu’il nous faut défier la convocation qui nous a menés ici lors de notre nomination.

Chers collègues, notre expérience des séances hybrides a démontré de façon plutôt évidente qu’elles représentent une utilisation moins efficace de notre temps et qu’elles nuisent à notre capacité de faire notre travail. Le sénateur Patterson a d’ailleurs soulevé il y a quelques minutes à peine les problèmes d’Internet dans le Nord.

D’abord, en raison des limites technologiques, il y a eu des problèmes de bande passante et de connexion. Il a fallu réduire le nombre de réunions de comité qui avaient lieu en même temps à cause des ressources limitées. Par ailleurs, on a rapporté que quelque 70 % des interprètes ont souffert de troubles cognitifs ou liés aux chocs acoustiques en raison des limites technologiques ou du fait que les parlementaires n’utilisaient pas l’équipement de façon appropriée.

Je dirais que, en plus des problèmes technologiques, il est tout simplement impossible pour un sénateur de s’acquitter pleinement de son rôle sans rencontres en personne. Une grande partie de notre travail est effectué à l’extérieur du Sénat, au moyen de réunions en plus petit nombre, de conversations dans les couloirs et d’échanges qui établissent des liens de confiance entre les sénateurs. On ne peut pas sous-estimer la valeur des liens de confiance, de la compréhension mutuelle et de l’esprit de camaraderie, lesquels sont difficiles à établir et à maintenir au moyen de rencontres virtuelles.

La tenue de réunions en personne, aussi bien dans cette enceinte qu’à l’extérieur de celle-ci, maximise notre efficacité et nous assure de pouvoir servir les Canadiens dans toute la mesure de nos capacités. Chers collègues, selon toute vraisemblance, je comprends qu’il ne s’agit pas d’un vote que nous pourrions gagner si nous décidions de tenir un vote par appel nominal. Pour cette raison, nous n’allons pas insister. Je le laisserai, pour ma part, être adopté avec dissidence. D’autres pourront penser autrement, mais je crains fort que nous minimisions les véritables coûts des séances hybrides, à la fois du point de vue de la confiance du public envers le Sénat et de notre capacité à faire notre travail avec efficacité. Si l’on m’assurait que ces changements sont temporaires, mes craintes en seraient quelque peu atténuées. Néanmoins, je crois que le temps est venu d’admettre que la COVID n’est pas un phénomène temporaire. Tous les signes indiquent que cette maladie deviendra endémique et qu’elle continuera pendant très longtemps à prélever chaque année un lourd tribut sur la société. La vaccination permettra de minimiser ses conséquences, mais elle ne les éliminera pas.

Il ne faut pas chercher à éliminer tous les risques. Nous devons plutôt trouver une façon d’accomplir efficacement notre travail dans cette enceinte de la manière la plus sûre possible. À défaut d’y parvenir, chers collègues, je ne vois pas la fin des demandes de séances hybrides, ce qui veut dire que nous courons le risque d’amenuiser en permanence l’efficacité du Sénat. À mon avis, c’est ce que nous devons éviter à tout prix.

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