Discours du Sénateur Plett à la troisième lecture du projet de loi S-5

Honorables sénateurs, je tiens à m’excuser d’emblée d’intervenir à une heure aussi tardive, mais le leader du gouvernement m’a rappelé à juste titre que nous avions convenu de terminer le débat aujourd’hui. Je vais essayer d’être bref. Je ne répondrai probablement pas aux questions, au cas où quelqu’un voudrait prolonger le débat.

Je commencerai mon intervention en citant une intervention de la sénatrice McCallum lors de l’une des nombreuses réunions marathons de l’étude article par article du projet de loi. Elle a fait la même observation à maintes reprises dans cette enceinte à propos de projets de loi du gouvernement. En réponse à un commentaire du président, qui a souligné que ce qu’elle disait pourrait signifier que le comité devrait poursuivre l’étude du projet de loi la semaine prochaine, elle a dit :

C’est très bien. Nous sommes censés donner un second regard objectif et, en réalité, je n’aime pas comment on nous a ordonné d’étudier précipitamment ce projet de loi [...]

L’adoption précipitée d’un projet de loi au Sénat est un événement plutôt courant, honorables sénateurs. Comme le dit le célèbre dicton, la première fois que cela arrive, c’est un accident; la deuxième fois, c’est une coïncidence; la troisième fois, c’est une habitude. J’ai perdu le compte du nombre de fois que cela s’est produit sous le gouvernement néo-démocrate—libéral.

Moi aussi, je perds patience à l’égard de cette habitude. Cette assemblée va très rapidement sombrer dans l’insignifiance — presque aussi rapidement que le gouvernement s’attend à ce que les projets de loi soient adoptés ici — si nous continuons à nous contenter d’exprimer notre indignation à ce sujet.

La sénatrice McCallum n’était pas la seule à être frustrée au comité. La sénatrice Seidman a exprimé la même frustration lorsqu’elle a dit :

Nous nous précipitons comme des fous dans ce dossier et nous recevons des amendements dont nous n’avons jamais vraiment discuté en comité. Nous n’avons jamais entendu de véritables témoignages à ce sujet. Nous n’avons jamais eu le temps d’étudier la question comme il se doit.

Elle faisait allusion à l’un de plus de 65 amendements qui ont été proposés à ce projet de loi, certains à la hâte.

Le contexte de l’observation de la sénatrice Seidman était la conséquence concrète de ce qui se produit quand on précipite un projet de loi d’une telle complexité. Comme je l’ai dit, il s’agit d’une situation dont plusieurs sénateurs de tous les partis, sauf le gouvernement, bien sûr, se sont plaints au comité.

Le résultat était inévitable. Le dernier jour de l’étude article par article du projet de loi, le sénateur Patterson a jugé bon de proposer un sous-amendement à un amendement que le comité avait déjà adopté plus tôt au cours de la semaine, ce que le comité avait fait sans trop en comprendre les ramifications. Comme l’a expliqué le sénateur Patterson dans son sous-amendement, en remplaçant le mot « may » par le mot « shall » à l’article 10.1 de la version anglaise du projet de loi, l’amendement de la sénatrice Miville-Dechêne aurait obligé le ministre à exiger un plan de prévention de la pollution de toute personne qui rejette, fabrique ou importe une substance inscrite à l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, ou LCPE.

Bien sûr, le problème, c’est que — le sénateur Patterson pourra me corriger si je n’ai pas tout à fait la bonne explication — l’annexe comporte de nombreuses substances inoffensives qui devront être assujetties à un plan de prévention de la pollution si on emploie le terme « shall » en anglais.

Par exemple, « articles manufacturés en plastique » se rapporterait aux sacs utilisés dans les magasins et aux pailles, mais également à une multitude d’objets courants, manufacturés ou importés. Certains pourraient être fabriqués avec autre chose, mais pas nécessairement.

L’exemple du sénateur Patterson était celui d’une plaque pour interrupteur; elle est faite de plastique, elle dure longtemps et elle ne représente pas une source importante de pollution par le plastique. Or, si on change « may » par « shall » en anglais, ces articles seraient assujettis à un plan de prévention de la pollution.

À peine quelques jours après avoir approuvé l’amendement bien intentionné de la sénatrice Miville-Dechêne, le comité a senti l’obligation de changer sa décision et de rejeter l’amendement.

C’est pour le moins inhabituel, mais cela soulèvement également la question de savoir quelles autres modifications auront des ramifications semblables et ont échappées à l’attention du comité. C’est une des conséquences de demander à un comité d’adopter un projet de loi à la va-vite sans lui donner le temps d’en étudier adéquatement toutes les facettes.

Ce n’est pas un cas isolé, comme nous le verrons au moment de l’étude du projet de loi S-6, dont une partie complète a été supprimée à la demande du gouvernement, qui l’avait lui-même inscrite au projet de loi. Cependant, ce sera une question pour le débat sur le projet de loi S-6.

Honorables sénateurs, le comité a tenu 12 réunions sur le projet de loi S-5, ou plutôt 13 parce que, comme le sénateur Patterson l’a indiqué, il y a eu un problème technique, puisqu’un sénateur n’était pas là où il devait être. Cela semble beaucoup. Sept de ces treize réunions, soit plus de la moitié, ont été consacrées à l’étude article par article du projet de loi. Nous avons passé seulement cinq réunions à faire comparaître des témoins et à recueillir des témoignages. Il est juste de dire que le comité a passé la plus grande partie de son temps non pas à entendre des témoins, mais à entendre les membres du comité parler des quelque 65 amendements qui ont été proposés lors de l’étude article par article.

Des membres du comité ont dû siéger en dehors des créneaux horaires prévus pour cinq des sept réunions consacrées à l’étude article par article afin que ce projet de loi soit adopté avant l’échéance fixée par le gouvernement néo-démocrate—libéral.

Je sais mieux que quiconque que le temps des comités est limité. Je m’en suis plaint à plus d’une occasion, mais il n’en demeure pas moins que, une fois de plus, le Sénat a dû se presser à cause de la mauvaise planification du gouvernement.

Bien que je considère que le comité a fait un excellent travail dans des circonstances très difficiles et qu’il n’a ménagé aucun effort pour y parvenir, il est fort révélateur que des sénateurs ayant une expertise en environnement admettent ne pas avoir eu assez de temps pour étudier tous les aspects. Il s’agit d’un projet de loi très complexe et très technique. Il n’y a donc pas eu assez de temps pour comprendre toutes les ramifications de ce qui est proposé. Chers collègues, c’est inacceptable.

Quand j’ai pris la parole à propos de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, j’ai fait une blague sur la longueur du titre et j’ai utilisé sa version abrégée, « Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé », comme je l’ai fait aujourd’hui, en m’en tenant à la première page. En réalité, c’est rendre un bien mauvais service au projet de loi parce que ce titre abrégé laisse croire qu’il ne s’agit que d’environnement. Ce n’est pas le cas. Comme je l’ai dit, c’est un projet de loi très compliqué et très technique dont la portée va bien au-delà de la protection de l’environnement.

Le titre au long est « Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), apportant des modifications connexes à la Loi sur les aliments et drogues et abrogeant la Loi sur la quasi-élimination du sulfonate de perfluorooctane ».

Lors de son témoignage au comité, le ministre Guilbeault a parlé des deux aspects du projet de loi, le premier étant de reconnaître dans le préambule le droit à un environnement sain que prévoit la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, et le second visant à renforcer la gestion des produits chimiques et d’autres substances au Canada.

Le projet de loi propose de s’attaquer au premier aspect — le droit à un environnement sain — par l’élaboration d’un cadre de mise en œuvre qui précisera la façon de considérer ce droit dans l’exécution de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

À juste titre, le comité a eu de la difficulté à comprendre comment le gouvernement allait faire respecter un droit qui se trouve dans le préambule de la loi et qui n’est pas un droit comme ceux qui sont prévus dans la Charte. Je ne suis pas certain que les membres du comité ont reçu des réponses à cette question, du moins de façon satisfaisante.

Le deuxième aspect du projet de loi — ou, comme le ministre l’a dit, le deuxième ensemble d’amendements importants proposés dans ce projet de loi — porte sur la gestion des produits chimiques et d’autres substances au Canada. C’est ici que les aspects hautement techniques du projet de loi entrent en jeu et, à mon avis, où la précipitation de l’étude s’est faite le plus sentir.

Je tiens à souligner que je ne pense pas que cette situation découle d’une quelconque lacune du comité ou de ses délibérations. Ce projet de loi modifie la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, et le comité, avec le temps dont il disposait, s’est concentré sur le renforcement de la protection de l’environnement, conformément à ce que semblait indiquer le titre abrégé. Je crains toutefois que les intervenants qui seraient directement touchés par l’aspect réglementaire de la gestion des produits chimiques aient été laissés pour compte.

Bon nombre des représentants de l’industrie — notamment des membres de l’Association canadienne de l’industrie de la chimie, de l’Alliance de l’industrie cosmétique du Canada, des Manufacturiers et Exportateurs du Canada et de l’Association canadienne de l’industrie de la peinture et du revêtement — ont comparu comme témoins au début de l’étude du comité, le 5 mai, lors de la deuxième audience.

Leur ont succédé, dans les semaines qui ont suivi, les fonctionnaires qui ont rédigé le projet de loi ainsi que des témoins de diverses associations de santé et de défense de l’environnement ainsi que de groupes militants. En fait, les représentants de l’industrie qui seront directement touchés par la nouvelle réglementation étaient plus de deux fois moins nombreux que les représentants des organisations non gouvernementales, ou ONG, et du gouvernement.

Je ne pense pas qu’il soit injuste de dire que les préoccupations de l’industrie à l’égard de ce projet de loi — très peu nombreuses dans la version originale de ce dernier — ont peut-être été submergées par les témoignages du nombre disproportionné de témoins de ces ONG et par le fait que la plupart des représentants de l’industrie ont témoigné si tôt dans les audiences du comité. Avec plus de temps, peut-être qu’un plus grand nombre de représentants de l’industrie auraient pu témoigner.

Puisqu’ils n’ont pas pu le faire, j’ai pensé que je pourrais consigner au compte rendu certaines des questions que nombre de ces représentants de l’industrie ont soulevées dans une lettre concernant le projet de loi modifié par le comité et présenté au Sénat.

Voilà ce qu’elle indique :

Tel qu’il a été présenté, ce projet de loi proposait des mises à jour importantes afin de moderniser la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) et de nous préparer pour l’étape suivante concernant la gestion des produits chimiques au Canada. L’approche canadienne en matière de gestion des produits chimiques est vantée comme un modèle d’excellence mondial sur le plan de protection de l’environnement et de la santé humaine. Le programme du Canada repose sur un équilibre entre le principe de précaution et une approche fondée sur les preuves pour les évaluations et la gestion des risques. Il vise à éliminer l’exposition aux substances chimiques préoccupantes. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement est fondée sur les connaissances scientifiques.

La lettre se poursuit ainsi :

Il est utile de souligner que, pendant le témoignage du ministre au sujet du projet de loi, il a expressément fait l’éloge de la LCPE en tant que programme de calibre mondial pour la gestion des substances chimiques, en soulignant :

« Je suis impatient de savoir ce que pensent les Canadiens pour que nous puissions définir les priorités du plan de gestion des produits chimiques et poursuivre notre travail sur ce qui est reconnu comme un programme de gestion des produits chimiques de calibre mondial. »

En plus de modifier l’approche fondée sur le risque qui est au cœur de la Loi, nous sommes d’avis que bon nombre des amendements du comité pourraient également ne pas entrer dans le cadre législatif du projet de loi.

Ce point devrait préoccuper tous les sénateurs, étant donné que l’un des amendements proposés par le sénateur Patterson a été rejeté par le comité, car il sortait du cadre du projet de loi.

Enfin, la lettre dit ce qui suit :

[…] afin de maintenir la norme mondiale d’excellence dans la gestion des produits chimiques qui protège notre environnement et la santé des Canadiens, nous exhortons le Sénat à revenir sur les amendements présentés par le comité et à adopter le projet de loi S-5 dans sa version initiale.

La lettre portait la signature de sept associations industrielles, dont quatre n’ont même pas eu l’occasion de comparaître devant le comité. Il s’agit de l’Association canadienne du pneu et du caoutchouc, de l’Association canadienne des carburants, de Distribution responsable Canada et d’Électricité Canada.

Honorables sénateurs, permettez-moi de répéter une phrase de la lettre que j’ai citée : « La Loi canadienne sur la protection de l’environnement est fondée sur les connaissances scientifiques. »

Lorsque j’ai pris la parole au sujet de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, j’ai parlé de deux alertes environnementales liées à des substances chimiques — Love Canal et la panique concernant l’Alar — qui ont entraîné des perturbations indicibles, qui ont coûté des milliards de dollars et qui n’étaient pas fondées sur les connaissances scientifiques; elles découlaient plutôt de la panique suscitée par des activistes et se sont avérées, dans les deux cas, une fausse alarme.

Mes réserves à l’égard de bien des amendements qui ont été apportés au projet de loi S-5 découlent du fait qu’une trop grande partie des témoignages que le comité a entendus et qui ont mené à bon nombre des amendements provenaient d’organisations militantes. Je répète les paroles de la sénatrice Seidman, que j’ai citées au début de mon discours :

Nous nous précipitons comme des fous dans ce dossier et nous recevons des amendements dont nous n’avons jamais vraiment discuté en comité. Nous n’avons jamais entendu de véritables témoignages à ce sujet. Nous n’avons jamais eu le temps d’étudier la question comme il se doit.

Le résultat est un projet de loi auquel on a proposé d’apporter quelque 65 amendements, dont certains venaient même du gouvernement responsable du projet de loi. Comme le dit l’expression, qui sème le vent récolte la tempête. Merci.

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