Discours du Sénateur Plett à la troisième lecture du projet de loi C-12

Honorables sénateurs, j’espère que les Canadiens ont entendu le sénateur Mercer remettre en doute leur raison selon qu’ils ont voté pour telle ou telle personne. J’estime que les Canadiens ne se trompent pas lorsqu’ils votent, et ils ne se sont jamais trompés quand ils ont élu un gouvernement conservateur. J’étais convaincu que même les sénateurs avisés de la Nouvelle-Écosse sont d’avis que les Canadiens ont raison, peu importe le gouvernement qu’ils élisent.

Je vais parler à présent du projet de loi.

La sénatrice Cordy a souligné les bonnes intentions du gouvernement. Tous connaissent probablement le proverbe « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Il va sans dire que ce texte en est rempli.

Je me demande à quel point un projet de loi doit être succinct pour que le gouvernement ne fasse pas de bévue. Après tout, celui‑ci ne compte qu’un seul article. Nous savons qu’ils sont incapables d’indiquer le bon renvoi dans un projet de loi. Je trouve inquiétant que d’excellents citoyens canadiens élisent un gouvernement qui ne peut pas faire la différence entre 256 et 257.

Je vais poursuivre avec un discours non partisan sur le projet de loi.

Comme je l’ai indiqué dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, notre caucus appuie cette mesure législative. Ce projet de loi est crucial, car les aînés qui comptaient sur les programmes d’aide en temps de pandémie ne devraient pas être pénalisés. Hélas, c’est exactement ce que le gouvernement a fait.

Lorsque la Prestation canadienne d’urgence a été annoncée en mars 2020, les aînés et les organisations qui défendent leurs intérêts ont tenté d’obtenir des réponses de la part du gouvernement : y aurait-il des répercussions négatives sur leur admissibilité à d’autres prestations, comme le Supplément de revenu garanti? On leur a assuré que ce ne serait pas le cas s’ils recevaient des prestations liées à la COVID-19. Encore une fois, cette affirmation allait se révéler terriblement fausse, chers collègues. Les aînés qui ont reçu des prestations liées à la pandémie ont eu tôt fait de découvrir que ces prestations seraient incluses dans le calcul établissant leur admissibilité au Supplément de revenu garanti.

Une fois la poussière retombée, nous avons constaté que 204 000 aînés avaient subi une baisse de leurs prestations, ce qui correspondait à un total de 742,4 millions de dollars. Chers collègues, on parle de presque 1 milliard de dollars : trois quarts de milliard de dollars.

Priver n’importe quel groupe démographique au Canada de 742 millions de dollars aura nécessairement des répercussions négatives, mais l’enlever au segment de population le plus vulnérable, les aînés qui reçoivent un revenu de subsistance, relève de la cruauté.

Leila Sarangi, directrice nationale de Campagne 2000, a donné au comité des exemples de cas relevés par l’organisation :

J’ai entendu parler d’aînés qui ont été plongés dans des situations difficiles partout au pays ces huit derniers mois : une aînée des Territoires du Nord-Ouest a été expulsée de son logement à la fin de l’automne et a vécu dans sa voiture par des températures inférieures à zéro; des aînés immigrants en Ontario ont été expulsés de leur logement à la suite de séances de la cour en ligne pendant un mois de janvier particulièrement froid, alors que les moratoires d’urgence sur le loyer ont été levés; il ne restait à un aîné que 70,88 $ après avoir payé le loyer; un couple a été incapable de payer ses médicaments avec son revenu mensuel combiné de 1 300 $.

Mme Sarangi a ajouté :

Certains ont demandé à emprunter de l’argent à leur lieu de culte, à leur famille ou à leurs amis. D’autres ont pris des marges de crédit ou ont fait des emprunts à des prêteurs sur salaire qui facturent des taux d’intérêt exorbitants. Les aînés ne peuvent plus répondre à leurs besoins de base. Ils ne peuvent plus s’acheter de nourriture, de papier de toilette ou de médicaments, et certains m’ont fait part de sérieux problèmes de santé qui empirent chaque jour. Ces problèmes sont encore plus accentués par la peur, le stress et l’anxiété; dans les pires circonstances, cela va même jusqu’au suicide.

Chers collègues, le gouvernement savait que les prestations liées à la COVID allaient causer un grave problème à de nombreux aînés, et ce, dès mai 2020. Malheureusement, le gouvernement n’a rien fait pour régler ce problème. Pire encore, il a laissé les aînés souffrir pendant huit mois.

Mme Devorah Kobluk, analyste principale des politiques au Centre d’action pour la sécurité du revenu, nous a raconté l’histoire suivante :

Parmi les personnes touchées, il y avait une aînée de 68 ans à Ottawa, qui a fait appel au système de centres d’aide juridique. Avant la pandémie, elle était une promeneuse de chiens autonome, mais la pandémie a entraîné l’effondrement de sa petite entreprise. Elle a utilisé l’argent de la Prestation canadienne d’urgence pour compenser sa perte de revenus, payer l’épicerie, son équipement de protection individuelle et les taxis pour se rendre à ses rendez-vous médicaux. Cette situation a provoqué une avalanche de conséquences imprévues et dévastatrices pour elle. Elle a dû survivre avec environ 650 $ par mois. Son loyer a augmenté parce que son « loyer fondé sur le revenu » a été recalculé quand elle a reçu la Prestation canadienne d’urgence. Elle risquait de se retrouver à la rue, et nous avons appris que des gens avaient été expulsés de leur logement. Elle a également perdu les prestations qu’elle touchait dans le cadre du Programme de médicaments Trillium et qui l’aidaient à payer ses médicaments. Nous ne savons pas si elle arrivera à survivre jusqu’au versement du paiement forfaitaire en avril.

Comme d’autres aînés dans sa situation, il devient plus difficile chaque mois pour elle de payer son loyer, ses frais de transport et ses fournitures médicales, ainsi que de composer avec la hausse du prix des aliments.

Honorables collègues, ce n’est là qu’une petite fraction des 204 000 aînés touchés par l’incompétence du gouvernement. Leurs histoires sont tragiques. Si rien n’avait pu être fait, nous aurions pu être un peu plus compréhensifs. Après tout, le gouvernement fait face à une pandémie mondiale qui grève les ressources de part et d’autre. En vérité, le gouvernement disposait toutefois d’au moins trois solutions pour régler facilement le problème plus tôt.

D’abord, ils auraient pu déposer ce projet de loi il y a un an. Il y a un an, en février 2021, les versements de la Prestation canadienne d’urgence étaient distribués depuis près d’un an. Même si les prestations du Supplément de revenu garanti n’avaient pas été réduites, le gouvernement savait depuis 10 mois que cela s’en venait. Il a eu 10 mois pour trouver une solution, mais il n’a même pas pris le temps de produire le projet de loi à l’étude qui tient en un paragraphe et qui doit quand même être retravaillé. Le gouvernement a préféré ne rien faire, chers collègues — rien.

Une autre chose que le gouvernement aurait pu faire, comme l’a expliqué un des témoins reçus par le Comité des affaires sociales, c’est de simplement se servir de l’année 2019 comme année de référence pour déterminer l’admissibilité au Supplément de revenu garanti. Cela aurait permis d’éviter d’inclure la Prestation canadienne d’urgence dans le calcul du revenu des aînés déjà admissibles au Supplément de revenu garanti.

Même si, pour une raison ou pour une autre, toutes ces mesures n’avaient pas fonctionné, le gouvernement aurait quand même pu agir pour minimiser les impacts pour les aînés.

Je vous explique. Dans deux mois, en avril, le gouvernement enverra 742 millions de dollars aux aînés à qui on a réduit le Supplément de revenu garanti. Ce paiement compensera la totalité des revenus perdus au titre du Supplément de revenu garanti de juillet 2021 à juin 2022.

Ce versement est effectué en vertu de l’article 7 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, qui autorise le ministre à verser des subventions ponctuelles sans même avoir à en saisir le Parlement.

Il n’est pas nécessaire de légiférer, de procéder à une mise aux voix, de tenir un débat, d’attendre le prochain cycle de déclaration de revenus de l’Agence du revenu du Canada ni d’apporter un amendement au projet de loi.

Vous vous souviendrez peut-être que c’est en vertu de cette même autorisation prévue par la loi que le gouvernement a effectué deux autres versements de prestations liées à la COVID-19. Le premier, un versement unique aux personnes âgées, a été effectué en mai 2020 et le second en août 2021. Ces paiements ont tout simplement été annoncés et les chèques ont suivi peu de temps après.

La vérité qui dérange, c’est que le gouvernement aurait pu avoir recours à ce même pouvoir prévu par la loi pour effectuer un ou plusieurs paiements aux aînés à n’importe quel moment de la dernière année, tout comme il le fait en ce moment. Le gouvernement disposait de cette possibilité depuis le début, mais il a décidé de ne pas s’en prévaloir, même si cela aurait évité aux personnes âgées des difficultés considérables.

Mme Laura Tamblyn Watts, PDG de l’organisation de personnes âgées CanAge, a déclaré au Comité des affaires sociales, en réponse à une question de la sénatrice Poirier, qu’elle savait que le gouvernement avait cette possibilité et qu’elle a insisté pour qu’il s’en prévale. Le gouvernement a refusé catégoriquement de le faire.

Voici ce qu’a déclaré Mme Kobluk du Centre d’action pour la sécurité du revenu au sujet de son expérience après avoir communiqué avec le gouvernement :

À titre de réponse, la ministre Khera nous a fait parvenir ce que je considère comme une courte lettre type nous invitant à rencontrer un des hauts fonctionnaires de son ministère. Nous avons répondu, mais n’avons jamais rencontré qui que ce soit. Quant aux ministres Qualtrough et Freeland, elles n’ont jamais répondu.

Plutôt que de répondre et de s’attaquer à une situation désespérée, le gouvernement a permis que le Supplément de revenu garanti de 204 000 aînés soit réduit ou simplement éliminé pendant les huit derniers mois.

Les organismes pour aînés ont été inondés d’appels, de courriels et de lettres de personnes désespérées qui demandaient de l’aide. Diana Cable, directrice des politiques et de la recherche à CanAge, a cité des extraits de courriels qu’elle a reçus d’aînés qui avaient du mal à joindre les deux bouts à cause de l’incurie du gouvernement.

Je me permets de faire lecture de quelques-uns de ces extraits :

Je suis un travailleur autonome de 70 ans qui a posé toutes les questions pertinentes à l’ARC et à des comptables [...] Personne ne m’a jamais dit que le Supplément de revenu garanti serait coupé si je touchais la PCU pour compenser la perte de mon emploi. Cette omission m’a coûté très cher [...]

Bon nombre de mes amis qui ont plus de 70 ans ont été expulsés de leur logis et dorment dans leur voiture à cause de ce cafouillage. Or, l’hiver peut être une sentence de mort pour des dizaines de milliers de personnes qui se retrouvent sans abri parce qu’on leur a retiré des prestations sans qu’elles n’en soient responsables. Cette situation est très angoissante et vraiment insensée. Comment pareille chose est-elle possible au Canada?

Mon revenu mensuel a chuté au point d’être inférieur au coût de mon loyer [...]

Voici ce qu’on peut lire dans un autre courriel :

Je suis sur le point de me retrouver en situation de crise. Je vais devoir vendre ma voiture, mes meubles et mes effets personnels juste pour m’en sortir [...]

Chers collègues, c’est tout simplement honteux. Même à l’heure actuelle, le projet de loi ne change rien pour les aînés avant juillet, le mois où leurs prestations du Supplément de revenu garanti seront rétablies. De plus, le gouvernement va obliger les aînés à attendre deux mois de plus avant de leur rembourser le revenu qu’ils ont perdu. L’argent sera le bienvenu, mais le mal est fait.

Qu’en est-il des gens qui ont perdu leur maison parce qu’ils ne pouvaient pas payer le loyer? Ou des gens qui ont vendu leur voiture parce qu’ils avaient besoin d’argent pour faire l’épicerie? Ou des gens qui ont perdu leur santé parce qu’ils ne pouvaient pas se payer leurs médicaments? Qu’en est-il des gens qui ont perdu leur vie parce que le stress était tout simplement trop grand?

Les prestations du Supplément de revenu garanti peuvent être remboursées, mais le coût de l’incompétence du gouvernement est difficile à calculer et ne pourra jamais être remboursé. C’est un prix que les Canadiens paient depuis beaucoup trop longtemps.

Sénateur Mercer, je vous remercie de nous appuyer.

Chers collègues, comme je l’ai dit la semaine dernière, notre caucus appuie le projet de loi. Il dénonce toutefois l’incompétence du gouvernement et sa désinvolture relativement à l’édiction des politiques publiques et à leurs conséquences sur les Canadiens les plus vulnérables.

Chers collègues, adoptons le projet de loi aujourd’hui avant que le gouvernement ne fasse un autre gâchis — aujourd’hui, chers collègues. Merci.

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