Discours du Sénateur Plett à la deuxième lecture du projet de loi S-5

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-5, connu sous son titre abrégé comme la Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé.

Notre collègue le sénateur Kutcher, qui est le parrain de ce projet de loi, a lui-même avoué que c’est un titre à rallonge, alors je suivrai son exemple en l’appelant simplement le projet de loi S-5.

Compte tenu des événements que nous avons traversés au cours des deux dernières années, il est difficile d’imaginer que quiconque puisse s’opposer à ce projet de loi ou à toute autre mesure qui vise à ce que tous les Canadiens puissent jouir d’un environnement aussi sain que possible. La santé est une priorité pour nous tous et elle le sera encore un certain temps.

La protection de l’environnement a toujours été une priorité pour les conservateurs. Après tout, c’est bien Brian Mulroney — nommé premier ministre le plus vert que le Canada ait connu — qui a pris des mesures rigoureuses et fructueuses pour régler le problème des pluies acides. À cette époque, on peut dire que ce problème n’était certainement pas facile à résoudre.

Si la pandémie de coronavirus nous a montré quelque chose, ce sont bien les limites des gouvernements lorsqu’il s’agit de respecter des promesses comme la reconnaissance du droit à un environnement sain. Pourtant, c’est ce que le gouvernement a décidé — avec tambours et trompettes — de mettre au centre du projet de loi.

Loin de moi l’idée de ne pas saluer l’effort, mais nous savons tous qu’il y a des limites à ce que le gouvernement peut faire pour protéger ce droit, des limites dictées par les menaces environnementales indépendantes de sa volonté, de toute évidence, mais aussi de l’incompétence du gouvernement, une marque distinctive du gouvernement néo-démocrate—libéral en particulier. La gestion de la pandémie illustre bien cette incompétence. Aucun gouvernement n’aurait dû être mieux préparé étant donné l’expérience vécue lors des épidémies de SRAS et de H1N1. Pourtant, le Canada a été carrément pris au dépourvu.

Outre le fait que le Canada n’était pas préparé, les décisions du gouvernement néo-démocrate—libéral pendant l’année qui a précédé la pandémie n’ont fait qu’aggraver la situation. En effet, le gouvernement a fermé trois entrepôts de la Réserve nationale d’urgence en mettant au rebut des millions d’articles d’équipement de protection individuelle qui auraient pu être utilisés pour faire face à la première vague, il a essentiellement démantelé — six mois avant l’apparition du virus — le système canadien d’alerte précoce des maladies infectieuses reconnu mondialement, et il a ignoré l’avis des scientifiques de l’Agence de la santé publique pour se fier plutôt à celui des administrateurs.

Je ne veux pas insister sur ce point, mais il suffit de dire que si nous convenons tous que les Canadiens ont le droit de vivre dans un environnement sain, je suis loin de croire que le gouvernement puisse tenir cette promesse.

N’oubliez pas non plus que le droit à un environnement sain, tel qu’il est reconnu dans le projet de loi S-5, n’est pas un droit légal comparable à ceux que nous confère la Charte. Il s’agit d’un droit qui n’existerait qu’en application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, la LCPE. Nous ne savons pas exactement ce qui sera obtenu par la reconnaissance de ce droit dans la loi.

Je ne dis pas que je suis contre. Je m’inquiète simplement que le gouvernement laisse entendre que l’effet sera plus important que ce qu’il sera réellement; ce ne serait pas aussi merveilleux que ce qu’il paraît, mais ce genre de question pourra être étudié par le comité.

Honorables sénateurs, comme l’a expliqué le sénateur Kutcher, c’est la première mise à jour de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement depuis 1999, soit une première en plus de 20 ans. Encore une fois, dans ce dossier, je ne peux m’empêcher de penser à la pandémie qui a clairement montré que nous — et le gouvernement actuel en particulier — avons baissé la garde dans les 20 ans qui ont suivi la publication du rapport sur l’éclosion de SRAS, qui avait d’ailleurs mené à la création de l’Agence de la santé publique.

Il est difficile d’être contre la modernisation de la LCPE après 20 ans. D’après ce que j’ai compris, la plupart des intervenants sont d’accord. Vous êtes nombreux ici, comme moi, à avoir entendu l’opinion de certains d’entre eux. Des intervenants comme l’Association canadienne de l’industrie de la chimie disent appuyer le projet de loi parce qu’il corrigera les lacunes de la LCPE. L’Alliance de l’industrie cosmétique dit aussi appuyer le projet de loi, pour autant que le processus décisionnel demeure fondé sur des données probantes et des évaluations des risques.

En outre, dans la lettre qu’ils ont écrite en appui au projet de loi, ces intervenants ont indiqué qu’ils croyaient qu’il était important que tout cadre réglementaire soit passé en revue de temps à autre. C’est un bon conseil et j’espère que notre étude au comité mènera à un examen complet du cadre réglementaire. Cependant, ce que ces intervenants n’appuient pas, ce sont les modifications à la loi qui n’ont pas l’appui de tous les intervenants, dont la plupart, d’après ce que j’ai compris, ont été consultés dans la préparation du projet de loi.

Honorables sénateurs, ce projet de loi est réellement d’ordre administratif. Il vise à moderniser la réglementation et il ne permettra pas concrètement d’étendre les protections environnementales, contrairement à ce que le gouvernement peut prétendre. Par exemple, il n’y a rien de mal à mentionner précisément les Canadiens vulnérables en ce qui a trait au droit à un environnement sain, mais même si le projet de loi n’y faisait pas explicitement référence, le droit s’appliquerait aussi à ces personnes, simplement parce qu’elles sont canadiennes. Le gouvernement ne peut simplement pas s’empêcher de faire l’étalage de sa vertu. Il ne le fait pas toujours dans le respect de la science.

Les honorables sénateurs se souviendront que, afin de pouvoir faire l’étalage de sa vertu, le gouvernement n’a pas hésité à aller à l’encontre de ce qu’exigeait la science lorsqu’il a refusé d’interdire les vols provenant de Chine dans les premiers jours de la pandémie, parce que, selon lui, il s’agissait de racisme. Pourtant, le rapport sur l’éclosion de SRAS avait été clair : « [...] les voyages jouent un rôle prépondérant dans la dissémination rapide des maladies. »

En fait, les données scientifiques à ce sujet étaient bien établies avant même le SRAS, mais le gouvernement, qui ne cesse de prétendre suivre la science, n’en a pas tenu compte.

Ainsi, bien que le projet de loi présente toutes les caractéristiques de l’étalage de vertu qu’aiment le gouvernement néo-démocrate—libéral, il ne tient pas compte des recommandations du comité de l’environnement concernant les normes nationales relatives à la qualité de l’air et de l’eau.

Honorables sénateurs, nous ne pouvons laisser la science être mise de côté ou détournée par des causes militantes. La dangerosité des substances toxiques est réelle. Dans son discours, le sénateur Kutcher nous a donné deux exemples frappants des préjudices causés à des collectivités par des produits chimiques toxiques, la première, au Japon, et la seconde à Grassy Narrows, dans le Nord-Ouest de l’Ontario. Dans ces deux cas, du mercure déversé dans l’eau a eu des conséquences tragiques.

Il existe d’autres exemples bien connus de désastres causés par des produits chimiques toxiques, et je souhaite en mentionner quelques-uns. Nous avons tous entendu parler de Love Canal, dans l’État de New York, où, dans les années 1950, la société Hooker Chemical Company a déversé 21 000 tonnes de déchets chimiques dans un canal abandonné. Vingt ans plus tard, en 1976, le canal a débordé et les produits chimiques se sont répandus dans le quartier environnant. Les habitants du quartier ont commencé à signaler que leurs enfants subissaient des brûlures chimiques, que des odeurs nauséabondes empestaient l’air, qu’ils avaient la nausée, que l’eau n’était plus potable et que de la boue noire se répandait en raison des produits chimiques qui avaient remonté à la surface. Un habitant du coin, le président de l’association de propriétaires de Love Canal, a commencé à porter le problème à l’attention du public en lançant des pétitions, en organisant des manifestations et en donnant des discours, ce qui a mené à l’adoption de la Comprehensive Environmental Response, Compensation, and Liability Act. Le commissaire à la santé de l’État de New York a déclaré une urgence de santé publique. Il a cherché à déménager les femmes enceintes et les enfants particulièrement vulnérables à l’extérieur du quartier.

En 1978, il a publié un rapport intitulé Love Canal: Public Health Time Bomb, où il qualifie ce qui s’est produit à Love Canal de désastre moderne profond et dévastateur. Le gouverneur de l’État de New York, Hugh Carey, qui alors était en pleine campagne électorale, est intervenu et a accepté de relocaliser 239 familles qui vivaient à proximité du canal.

Peu de temps après, le président Jimmy Carter a déclaré une situation d’urgence dans la région. L’affaire Love Canal a galvanisé l’opinion publique américaine au sujet des dépôts de déchets dangereux. Des milliards de dollars ont été dépensés pour nettoyer les décharges abandonnées, tout cela en raison de l’affaire Love Canal.

De même, à la fin des années 1980, le Natural Resources Defense Council, un groupe de réflexion sur l’environnement, a conclu que l’utilisation continue d’Alar, un pesticide longtemps utilisé sur les pommes, causerait le cancer chez 1 enfant d’âge préscolaire sur 4 200. Cette conclusion a fait son chemin jusqu’à l’émission « 60 minutes », dont l’hôte, Ed Bradley, a qualifié l’Alar de substance chimique cancérigène la plus puissante dans notre chaîne d’approvisionnement alimentaire.

Des célébrités comme Meryl Streep se sont impliquées, tout comme un groupe de militants appelé Mothers and Others for Pesticide Limits. La demande pour les pommes a chuté, et les pommes ont été retirées des étagères et largement interdites dans les écoles.

Le problème avec les histoires de l’Alar et de Love Canal est que les dangers étaient dans les deux cas inexistants, ou à tout le moins grandement exagérés. Dans le cas de l’Alar, l’agence américaine de protection de l’environnement a estimé que le risque pour les enfants d’âge préscolaire n’était pas de 1 sur 4 200, mais de 1 sur 111 000. Dans le cas de l’affaire Love Canal, des études de suivi révisées par des pairs, menées par le département de la Santé de l’État de New York, n’ont révélé aucune tendance anormale en santé chez les résidants de Love Canal.

Cette constatation a par la suite été étayée par des analyses effectuées par l’American Medical Association, le Conseil national de recherches du Canada et les Centers for Disease Control and Prevention. En fait, une étude exhaustive menée par l’agence de protection de l'environnement en 1982 n’a révélé aucune preuve de contamination de l’environnement dans le Love Canal. Toutefois, dans les deux cas, la science et les politiciens ont été supplantés par une indignation menée par des activistes qui a entraîné une panique sociale qui a eu des conséquences bien réelles n’ayant aucun fondement.

Honorables sénateurs, je ne dis pas cela pour miner les exemples fort légitimes du sénateur Kutcher au sujet des dommages possibles ou encore le projet de loi S-5. Je dis cela pour souligner la complexité de la question dont nous sommes saisis ainsi que la nécessité, comme l’association des cosmétiques l’a dit, de prendre une décision fondée sur des données scientifiques fiables et l’évaluation des risques et non sur de l’activisme, et pour exhorter le comité qui étudie ce projet de loi d’entreprendre un examen rigoureux et approfondi de tous les aspects et de convoquer toutes les parties prenantes à la table.

Chers collègues, le caucus conservateur appuie le renvoi de ce projet de loi au comité pour une étude approfondie, et je l’appuie aussi à l’étape de la deuxième lecture. Merci, honorables sénateurs.

< Retour à : Discours