Le sénateur Plett et le projet de loi C-16 : Le secteur agricole est durement touché par la pandémie, mais où donc est l’aide gouvernementale?

Le 15 mai 2020 (Ottawa, ON) – L’honorable Don Plett, leader de l’opposition au Sénat, a émis la déclaration suivante :

Honorables sénateurs, le 11 mars, l’Organisation mondiale de la santé déclarait que l’épidémie de coronavirus était devenue une pandémie. Dans sa déclaration aux médias ce jour-là, le directeur de l’OMS a dit ce qui suit :

Ces deux dernières semaines, le nombre de cas de COVID-19 hors de ‎Chine a été multiplié par 13 et le nombre de pays touchés a triplé.

On compte désormais plus de 118 000 cas dans 114 pays et 4 291 décès.

Des milliers de personnes sont hospitalisées entre la vie et la mort.‎

Dans les jours et les semaines à venir, le nombre de cas, de décès et ‎de pays touchés devrait encore augmenter.

Chers collègues, nous le savons, c’est exactement ce qui s’est produit. Mercredi marquait la 9e semaine depuis le 11 mars. Il y a 9 semaines, il y avait 118 000 cas de COVID-19. Aujourd’hui, il y a plus de 4,5 millions de cas à l’échelle de la planète.

Il y a 9 semaines, 4 291 personnes avaient été emportées par le virus. Le taux de mortalité de la COVID-19 atteignait 3,6 %. Aujourd’hui, le virus a tué plus de 300 000 personnes dans 177 pays et le taux de mortalité atteint les 6,7 %. Au Canada, le taux de mortalité est encore plus élevé, à 7,5 %. Plus de 73 000 Canadiens ont reçu un résultat positif au test de dépistage du virus et plus de 5 400 ont perdu la vie.

Cela représente plus de 5 400 familles et un nombre incalculable d’êtres chers qui ont été directement touchés par la mort prématurée d’un parent ou d’un ami à cause du virus. Ces personnes étaient des mères et des pères, des sœurs et des frères, des grands-mères et des grands-pères qui, il y a à peine quelques semaines, s’étaient réunis autour d’un repas ou dans un foyer pour personnes âgées pour rire ensemble et partager des moments remplis d’amour. Maintenant, ils ne sont plus parmi nous. La douleur causée par ce virus est incommensurable, et nos pensées et nos prières accompagnent toutes les personnes qui ont été touchées.

Chers collègues, beaucoup d’entre vous ignorent peut-être que, il y a deux jours à peine, l’une des nôtres a perdu son père après que ce dernier a succombé à la maladie. Madame la sénatrice Saint-Germain, nous sommes de tout cœur avec vous.

Elle a pu parler avec son père sur FaceTime lors de ses derniers moments. Malheureusement, rien ne permettra de faire un retour en arrière; rien ne permettra de remplacer ce qui a été perdu. Ce n’est pas comme un jeu vidéo où on peut recommencer les niveaux ratés. Nous sommes dans la vraie vie, et la vraie vie est remplie de peines et de joies, certaines évitables et d’autres inévitables. C’est la grande tragédie de la pandémie de la COVID-19 : elle nous plonge à la fois dans des situations qui peuvent être évitées et dans des situations qui ne le peuvent pas.

Le Canada ne pouvait pas prévenir l’éclosion du coronavirus, mais il aurait pu en faire davantage et aurait pu agir plus rapidement pour éviter sa propagation. Il était inévitable que nous serions touchés par la pandémie et que des vies seraient perdues. Cependant, on aurait pu éviter que le virus ravage sans relâche tant de résidences pour personnes âgées. Nous aurions pu, et nous aurions dû, en faire davantage pour protéger les personnes âgées et les membres les plus vulnérables de notre société.

Il était également inévitable qu’une pandémie mondiale aurait des conséquences économiques majeures. Or, il est indéniable que la gestion maladroite par le gouvernement de la crise de santé a amplifié la crise économique actuelle. Personne ne s’attend à ce que le gouvernement soit parfait ou à ce qu’il fasse tout correctement. Toutefois, en temps de crise nationale, le gouvernement devrait au moins faire tout en son pouvoir pour être plus efficace en adoptant une approche coopérative plutôt que combative, collégiale plutôt qu’exclusive, et réfléchie plutôt que politique.

Or, ce n’est pas ce que nous avons vu de la part du gouvernement. D’ailleurs, dans son approche à l’égard de la COVID-19, le gouvernement commence à ressembler à un hamster dans sa roue : il travaille très fort, mais il ne va pas bien loin. La même situation se reproduit sans arrêt : on annonce des dépenses, puis c’est la confusion et l’incertitude. Qui est admissible? Comment peut-on présenter une demande? Pourquoi le programme ne s’applique-t-il pas à telle situation ou à telle personne? Pourquoi y a-t-il autant de lacunes dans le filet de sécurité? Pourquoi fait-on une annonce sans fournir de détails sur le fonctionnement du programme?

Neuf semaines se sont écoulées depuis le début de la pandémie, mais certaines personnes en difficulté n’ont toujours pas de bouée de sauvetage. Le gouvernement vient en aide de façon sélective à certaines personnes, tandis que d’autres peinent à subsister.

Lorsque l’on veut annoncer des dépenses d’urgence de plusieurs milliards de dollars en fonds publics, il vaut mieux le faire dans l’enceinte de la Chambre des communes que sur les marches du chalet du premier ministre. On dirait que les libéraux ne considèrent pas le Parlement comme un service essentiel. Honorables collègues, les magasins Walmart et Costco et même les restaurants Tim Hortons sont ouverts, alors comment se fait-il que le Parlement ne le soit toujours pas? On dirait que, moins les libéraux ont à rendre des comptes à Ottawa, mieux ils se portent.

Chers collègues, aujourd’hui, nous avons été convoqués pour étudier le projet de loi C-16, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du lait.

Chers collègues, je trouve pour le moins intéressant de voir qu’après avoir fait des annonces de dépenses de plusieurs milliards de dollars et avoir empêché le Parlement de siéger plus fréquemment — ce qui aurait assuré une reddition de comptes appropriée et l’examen des politiques proposées —, le premier ministre nous rappelle maintenant au Parlement pour changer un mot dans une loi.

Dans l’esprit du premier ministre, il est trop dangereux que le Parlement siège régulièrement et exige que le gouvernement rende compte des dépenses extraordinaires de fonds publics pendant cette crise nationale, mais il n’hésite pas un seul instant à convoquer le Parlement pour remplacer un « trois » par un « cinq ».

Qu’on me comprenne bien. Je ne laisse pas entendre que cette modification est sans importance et je précise que nous avons la ferme intention de l’appuyer.

Le 5 mai, le premier ministre a annoncé de nouvelles dépenses de 252 millions de dollars pour soutenir les agriculteurs et les entreprises alimentaires, notamment dans le secteur de la transformation. Dans le cadre de ce train de mesures, le gouvernement a fait connaître son intention d’augmenter de 200 millions de dollars le plafond d’emprunt de la Commission canadienne du lait pour couvrir les coûts liés à l’entreposage des surplus de fromage et de beurre. Les producteurs laitiers n’ont jamais vu une fluctuation hebdomadaire de la demande de lait comme à l’heure actuelle.

Par surcroît, la fermeture soudaine des restaurants et des hôtels à l’échelle du pays a entraîné un excédent de production très difficile à gérer. On ne peut pas tout simplement arrêter de traire une vache pendant une semaine parce que la demande est faible — la ministre a bien expliqué que ce n’est pas comme fermer un robinet — pour ensuite recommencer la semaine suivante lorsque la demande est plus forte. La situation est légèrement plus compliquée.

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L’industrie laitière s’est efforcée tant bien que mal de composer avec ces difficultés, notamment en faisant don de plus de 10 millions de dollars en produits laitiers aux banques alimentaires partout au pays, et en réduisant ses quotas de 2 à 5 %, selon les provinces. Malgré ces efforts, les producteurs laitiers ont été obligés de jeter 30 millions de litres de lait, en raison du manque pur et simple de débouchés. Personne ne souhaite une telle chose.

Les producteurs laitiers nous disent que cette modification contribuera à « compenser les répercussions des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement qui ont empêché les produits laitiers de se rendre de la ferme à l’épicerie. »

La nécessité de la modification présentée aujourd’hui ne fait donc pas débat. Elle est nécessaire, car elle va permettre d’aider l’industrie laitière à traverser cette période difficile.

Mais ce dont le pays n’a pas besoin, c’est d’un premier ministre qui accepte que le Parlement siège uniquement lorsque cela lui convient et qui ne semble pas comprendre l’importance que revêt la surveillance parlementaire dans les circonstances actuelles. Qu’il en soit conscient ou non, il déprécie la valeur de l’institution la plus précieuse au pays, tout en cherchant à rehausser sa propre valeur.

Rex Murphy a très bien décrit la situation dans sa chronique publiée le 27 avril dans les pages du National Post:

Hélas, pour reprendre les paroles mémorables de sir Thomas Browne, en temps de crise nationale, la notion de Parlement habilité n’est que rêves et folies. L’idée d’une tribune nationale destinée à surveiller nos dirigeants, à garder un œil sur la distribution massive de deniers publics, à remettre en question les décisions que notre premier ministre nous présente quotidiennement n’est, semble-t-il, qu’une simple distraction, une perte de temps, une étape inutile dans le fonctionnement impeccable de ce gouvernement minoritaire.

On ne saurait mieux dire que Rex Murphy.

Toutefois, le Parlement n’est pas la seule cible de l’indifférence du premier ministre. Le secteur agricole du pays semble aussi très bas dans sa liste de priorités. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Je vais en énumérer quelques-uns.

Premièrement, le soutien que le gouvernement accorde au secteur agricole pendant cette pandémie est ridiculement inadéquat. Voici quelques chiffres : nous en sommes au 65e jour de la pandémie et, jusqu’à présent, le gouvernement a annoncé 156 milliards de dollars en paiements de soutien directs, ce qui représente 2,4 milliards de dollars par jour depuis le début de la pandémie.

Si ces dépenses étaient réparties de manière égale dans la population, cela correspondrait à un chèque d’un peu plus de 4 100 $ pour chaque homme, femme et enfant du pays ou de 16 400 $ pour une famille de quatre. Nous savons bien que l’argent n’est pas versé de cette façon, mais cela nous donne une idée de l’ampleur des sommes dépensées. Dans la pratique, l’argent est versé dans le cadre de programmes précis et va à des personnes et à des industries précises.

Le mois dernier, la Fédération canadienne de l’agriculture a établi à 2,6 milliards de dollars les besoins de l’industrie agricole découlant de la pandémie. Le gouvernement a répondu en annonçant 252 millions de dollars pour l’industrie.

Chers collègues, cela représente moins de 10 % des besoins de l’industrie et moins de 0,17 % des dépenses directes totales du gouvernement pour la crise du coronavirus jusqu’ici. Cela n’a aucun sens.

Deuxièmement, en plus d’être tout à fait insuffisant, ce soutien financier se fera en partie attendre pendant des mois.

Une partie des 252 millions de dollars annoncés doit servir à créer un Fonds d’urgence pour la transformation de 77,5 millions de dollars. Ce fonds aidera les producteurs d’aliments à avoir accès à davantage d’équipements de protection individuelle, à s’adapter aux protocoles sanitaires, à automatiser ou à moderniser leurs installations, leurs processus et leurs opérations, et à répondre aux nouvelles pressions issues de la COVID-19. Ils pourront ainsi approvisionner plus efficacement les Canadiens pendant cette période. Or, selon Global News, ce financement ne sera probablement pas disponible avant la fin du mois de septembre, et il n’y a toujours pas de détails sur les conditions à remplir pour bénéficier de ce financement.

Les usines de transformation de la viande ont été durement touchées par le coronavirus. L’usine Cargill de High River, en Alberta, a été fermée après que 350 cas de COVID-19 y aient été signalés. Dimanche, une autre usine Cargill près de Montréal a annoncé qu’elle fermerait temporairement ses portes après qu’au moins 64 travailleurs aient obtenu un résultat positif au test de dépistage.

Ce montant de 77,5 millions de dollars est censé aider les usines à améliorer leurs conditions de travail afin de prévenir de telles épidémies. Pourtant, comme l’a rapporté Global News : « Pour ce qui est de la date à laquelle l’argent devrait être distribué, le ministère a déclaré que cela se ferait « au plus tard » le 30 septembre. »

Le 30 septembre, c’est dans 139 jours. D’ici là, la pandémie aura duré 204 jours. Comment cette annonce aide-t-elle l’industrie à relever les défis liés à la COVID auxquels elle est confrontée en ce moment? Et pourquoi diable cette mesure est-elle annoncée en mai comme un financement imminent, alors qu’elle ne sera pas appliquée avant des mois?

Troisièmement, non seulement l’aide gouvernementale au secteur agricole est ridiculement insuffisante et ne sera pas complètement versée avant des mois, mais elle est aussi nettement inférieure à l’aide fournie aux autres secteurs.

Les 252 millions de dollars promis par le gouvernement incluent des fonds pour aider les éleveurs de bétail qui font face aux coûts supplémentaires engendrés par la COVID-19. Cela comprend des fonds mis de côté pour des programmes de gestion des bovins et des porcs afin de gérer le bétail en réserve dans les fermes en raison de la fermeture temporaire des usines de transformation des aliments.

Le montant prévu à cet effet est de 125 millions de dollars. Il y a toutefois un problème : l’on estime qu’il y a actuellement 14 millions de porcs et 11 millions de bovins. Cela représente 25 millions de têtes de bétail. Si l’on répartit ces 125 millions de dollars en fonction du nombre de têtes de bétail, cela reviendra à 5 $ par animal. À quel point ces 5 $ par bête vont-ils aider? Que permettront-ils de payer?

Les coûts de production quotidiens peuvent varier considérablement d’un bout à l’autre du Canada. Cependant, dans le secteur du bœuf du Manitoba, ce coût s’élève à environ 3 $ par animal par jour pour une exploitation de naissage, et à 5,75 $ par animal par jour pour un parc d’engraissement. Les porcs sont encore plus chers à élever, et coûtent environ 11 $ par animal par jour. Cela signifie que la grande annonce du gouvernement de 125 millions de dollars pour les producteurs de porcs et de bovins couvrira l’équivalent des coûts de production d’une exploitation d’élevage pour une période de 12 à 24 heures.

Les éleveurs de porcs et de bovins contribuent à hauteur de 13 milliards de dollars par année à l’économie canadienne, mais ne reçoivent que 125 millions de dollars en aide lorsque la planète est frappée d’une crise sanitaire. Cela représente un peu moins de 1 % de leur contribution annuelle totale à l’économie.

Comparons cela à ce que le gouvernement a fait pour les étudiants. Le gouvernement a annoncé une aide de 9 milliards de dollars pour les étudiants. Selon Statistique Canada, le Canada compte environ deux millions d’étudiants de niveau postsecondaire, ce qui revient à 4 500 $ par étudiant, sans compter l’argent qui a été affecté au programme Emplois d’été Canada.

Ces 9 milliards de dollars sont destinés à aider les étudiants dans le cadre de la Stratégie emploi et compétences jeunesse et à appuyer ceux qui ne trouvent pas de travail, qui font du bénévolat ou qui ont besoin d’aide pour leurs prêts étudiants. La Prestation canadienne d’urgence pour étudiants les aidera pendant une période pouvant atteindre 112 jours, du début mai jusqu’à la fin août.

Autrement dit, les étudiants sont couverts pendant 112 jours, mais les producteurs de porc et de bœuf sont couverts pendant 12 à 24 heures.

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J’ose croire que personne n’aura l’idée d’insulter les agriculteurs en prétendant que cette comparaison revient à critiquer les étudiants. Ce serait absurde. Il faut offrir de l’aide aux étudiants dans le besoin et personne ne devrait leur reprocher cette assistance.

Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il faut se demander pourquoi l’aide du gouvernement est si faible pour l’agriculture, toutes proportions gardées, alors que ce secteur est celui qui met de la nourriture sur nos tables? Cela n’a aucun sens.

Quatrième exemple qui montre que l’agriculture n’est pas une grande priorité pour le gouvernement : une grande partie de l’aide annoncée pour l’agriculture n’est qu’un ramassis d’anciens engagements. Il ne s’agit pas d’argent frais dégagé pour répondre aux difficultés causées par la COVID-19. Le gouvernement s’est bien gardé de dire que la moitié des 252 millions de dollars annoncés pour l’agriculture n’est pas de l’argent frais et que ce montant faisait déjà partie de l’enveloppe consacrée à l’agriculture et l’agroalimentaire cette année. Il en va de même pour les mesures visant à augmenter les liquidités par l’intermédiaire de Financement agricole Canada. Au lieu d’offrir un nouveau programme d’aide lié à la COVID-19, les libéraux ont simplement annoncé de nouveau une promesse électorale de 2019. Cette tendance du gouvernement à annoncer des mesures d’aide existantes pour le secteur agricole montre qu’il ne considère pas l’agriculture comme une priorité. Si c’était une priorité, les décisions du gouvernement et les ressources qu’il consacre à ce secteur ne seraient pas les mêmes.

On estime que 15 % des exploitations agricoles, soit environ 30 000 d’entre elles, feront faillite si on ne fournit pas immédiatement une aide véritable au secteur canadien de l’agriculture et de l’alimentation. La situation est grave. La nature sans précédent de la pandémie exige des mesures sans précédent, et non des programmes recyclés par un gouvernement qui ne prend pas le secteur agricole au sérieux.

Cinquième exemple qui montre à quel point le gouvernement fait peu de cas du secteur agricole : la manière dont il traite l’industrie laitière.

Posez-vous la question suivante : qu’a fait le gouvernement pour l’industrie laitière depuis que la pandémie a forcé l’arrêt de pratiquement toute l’économie? Eh bien, la première chose qu’il a faite, comme je l’ai dit la dernière fois que nous nous sommes réunis dans cette enceinte, a été de poignarder l’industrie laitière dans le dos. Il avait promis aux Producteurs laitiers du Canada et à l’Association des transformateurs laitiers du Canada que le nouvel Accord Canada—États-Unis—Mexique ne serait pas mis en vigueur avant le 1er août, afin que le secteur puisse profiter de 12 mois complets pour exporter d’importants produits laitiers en profitant du seuil d’exportation prévu pour la première année de l’accord, avant de devoir se conformer au seuil beaucoup moins élevé que le gouvernement a concédé et qui entrera en vigueur à la deuxième année. Au lieu de tenir cette promesse faite aux agriculteurs et aux producteurs laitiers canadiens, le gouvernement libéral a été le premier à aviser les autres partis qu’il était prêt à mettre l’accord en œuvre un mois avant la date qu’il avait promise. En ratifiant l’accord un mois plus tôt, le gouvernement a privé l’industrie laitière de 11 mois d’exportations avec un seuil préférentiel. Cela coûtera 100 millions de dollars à l’industrie. Maintenant, le gouvernement dit qu’il remboursera ces pertes à l’industrie, mais la confiance perdue avec cette bourde monumentale ne sera pas rétablie. Tout ce que le gouvernement aura réussi à faire, c’est de refiler aux contribuables canadiens la facture à payer en raison son incompétence.

Qu’en est-il de la mesure législative dont nous sommes saisis aujourd’hui? Le projet de loi hausse de 200 millions de dollars la capacité d’emprunt de la Commission canadienne du lait pour couvrir les coûts de stockage des excédents de fromage et de beurre. Cette mesure montre sûrement l’attachement du gouvernement à l’industrie laitière? Pas vraiment. Voici ce qu’il en est. Il s’agit d’une mesure nécessaire, mais elle ne coûtera probablement rien au gouvernement fédéral. Le directeur parlementaire du budget a confirmé que, presque chaque fois que le gouvernement annonce un nouveau programme de prêts ou une autre mesure visant à injecter des liquidités, ce dernier en tire des revenus; il n’y consacre pas d’argent.

Prenons le programme de prêts de 5,2 milliards de dollars de Financement agricole Canada, que le gouvernement a annoncé le 18 mars dernier. Ce programme d’aide aux agriculteurs rapportera 96 millions de dollars à l’État. Le programme de prêt et de garantie pour les PME de 20 milliards de dollars d’Exportation et développement Canada rapportera 3 millions de dollars au Trésor. Le Programme de garantie de prêt pour les petites et moyennes entreprises de 20 milliards de dollars de la Banque de développement du Canada rapportera 389 millions de dollars à l’État. L’aide au crédit et aux liquidités de 150 milliards de dollars dans le cadre du programme de protection de l’assurance hypothécaire rapportera quant à lui 428 millions de dollars à l’État.

L’augmentation de 200 millions de dollars de la capacité d’emprunt prévue dans le projet de loi C-16 est aussi nécessaire que bienvenue, mais il ne faut pas croire que cette mesure coûtera un sou au gouvernement. Nous devrons attendre que le directeur parlementaire du budget procède à l’évaluation des coûts, mais il est fort probable que l’État tirera également des revenus de ce programme.

Un autre point que vous devez comprendre à propos de la façon dont le gouvernement traite l’industrie laitière est comment il suggère de gérer les contingents tarifaires. L’Association des transformateurs laitiers du Canada explique l’importance des contingents tarifaires pour l’industrie laitière comme suit : « Les contingents tarifaires, ou licences d’importations de produits laitiers, ont pour but de protéger les industries canadiennes qui ont subi les contrecoups économiques des accords commerciaux internationaux, notamment l’Accord économique et commercial global, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste ou l’Accord Canada—États-Unis—Mexique. Traditionnellement, ils procurent une stabilité à long terme aux industries comme la nôtre. Les contingents tarifaires nous permettent d’importer des produits selon des tarifs bas ou sans tarifs, ce qui nous permet d’offrir ces produits aux Canadiens à des prix concurrentiels par l’intermédiaire des détaillants. Le profit aide notre industrie à compenser les pertes encourues en raison des accords commerciaux internationaux. »

Le problème est que le premier ministre s’apprête à donner 100 % de ces contingents tarifaires aux détaillants plutôt qu’aux transformateurs laitiers. Ces derniers sont très inquiets, car les détaillants n’ont subi aucun contrecoup économique à la suite des signatures de ces accords commerciaux, contrairement à l’industrie laitière. C’est inconcevable, sauf que je me rappelle que le gouvernement a pensé qu’il devait refiler aux contribuables la facture de 12 millions de dollars pour des réfrigérateurs destinés à Loblaws l’année dernière. Il veut probablement remplir ces réfrigérateurs aux dépens de l’industrie laitière.

Voici pourquoi les transformateurs laitiers estiment qu’ils devraient avoir droit aux contingents tarifaires, mais pas les détaillants : en deux mots, c’est parce que les détaillants et les distributeurs n’ont pas souffert des récents accords commerciaux. Ils ne produisent rien, ils offrent simplement les produits des autres aux consommateurs canadiens, avec profit à la clé. Les transformateurs laitiers, de leur côté, ont investi des sommes importantes dans leur équipement de production afin de créer de nouveaux produits et de les mettre en marché. Pour les entreprises de ce secteur, les contingents tarifaires constitueraient un gage de stabilité qui les aiderait à mieux prévoir leurs affaires et à continuer d’investir, en plus de leur fournir un rendement des investissements raisonnable.

L’association demeure persuadée que les contingents tarifaires liés à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste et à l’Accord Canada—États-Unis—Mexique doivent impérativement être accordés aux transformateurs laitiers afin de les dédommager pour les pertes que leur causera immanquablement l’ouverture du marché canadien des produits laitiers. Or, pour une raison qu’on ne saurait expliquer, le gouvernement fait la sourde oreille. Il faut dire qu’on commence à avoir l’habitude parce que c’est ainsi qu’il traite désormais le milieu de la production laitière et le secteur agricole en général.

Le traitement réservé à l’industrie céréalière constitue le sixième exemple montrant à quel point le secteur agricole est loin sur la liste des priorités du gouvernement. Les producteurs du pays n’ont pas manqué de remarquer qu’ils étaient tout simplement exclus du programme d’aide de 252 millions de dollars destiné au secteur agricole et agroalimentaire.

Les Producteurs de grains du Canada ont réagi ainsi à l’annonce du gouvernement :

Ce programme d’aide ne permet de résoudre aucun des problèmes qui nous affligent depuis longtemps déjà, comme l’accès au marché, le blocage des voies ferrées et la récolte pitoyable de 2019.

Alors que les revenus agricoles nets continuent à dégringoler, le gouvernement fédéral n’a offert que des programmes d’aide qui ne sont pas accessibles à la majorité des exploitations agricoles ou qui se concentrent sur l’accès au capital d’emprunt pour des agriculteurs déjà fortement endettés. Ce programme d’aide renforce malheureusement la tendance.

Encore et encore, le gouvernement libéral laisse tomber les producteurs de grains du Canada. Ce n’est là que l’exemple le plus récent.

Sans exagérer, je pourrais probablement continuer à vous donner des exemples du mépris du gouvernement envers le secteur agricole canadien jusqu’à minuit — je pense que la motion nous permet de prolonger la séance jusqu’à cette heure. Je ne suis toutefois pas certain que j’arriverais à conserver votre attention aussi longtemps. Permettez-moi donc d’ajouter un septième et dernier exemple : la taxe fédérale sur le carbone.

Il est difficile de trouver une mesure qui nuira davantage à l’industrie agricole que la taxe sur le carbone. L’agriculture a grandement besoin de combustibles fossiles parce que les tracteurs ne sont plus tirés par des chevaux. Ils fonctionnent au diésel.

Les grains ne sont plus asséchés au soleil comme on le faisait il y a des centaines d’années. Les agriculteurs utilisent plutôt la chaleur produite avec du propane.

Il faut aussi tenir compte du transport ferroviaire, du chauffage, de l’électricité et du camionnage, qui sont essentiels pour de nombreux aspects des activités agricoles. Tous nécessitent des combustibles fossiles. Il n’y a en ce moment aucune solution de rechange fiable.

Et contrairement à ce qu’Elizabeth May, du Parti vert, et le Bloc québécois tentent de nous faire croire, il est plutôt difficile d’installer des panneaux solaires ou des éoliennes sur un tracteur.

C’est le premier problème que pose la taxe sur le carbone : les agriculteurs utilisent beaucoup de combustibles à base de carbone.

Le deuxième problème, c’est que les agriculteurs sont des preneurs de prix et que, contrairement à de nombreuses autres industries, ils ne peuvent pas refiler le coût de la taxe sur le carbone aux consommateurs.

Selon les recherches effectuées par l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan, le résultat net de ces deux facteurs est le suivant :

[...] les agriculteurs peuvent s’attendre à perdre 8 % de leur revenu net total en 2020 à cause de la taxe sur le carbone. Pour un ménage qui gère une ferme céréalière de 5 000 acres en Saskatchewan, le montant de la facture variera entre 8 000 et 10 000 $.

Dans moins de deux ans, lorsque la taxe sur le carbone passera à 50 $ la tonne en 2022, le montant de la facture variera entre 13 000 et 17 000 $ pour le même ménage, soit l’équivalent d’une diminution de 12 % de son revenu net.

Partout au pays, les producteurs sont très préoccupés par la taxe sur le carbone, et ce, à juste titre. Je remarque que la sénatrice Griffin a attiré l’attention du Sénat sur cette situation en présentant le projet de loi S-215, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (exemptions pour les activités agricoles).

Tandis que les agriculteurs sont très inquiets des répercussions de la taxe sur le carbone sur l’industrie agricole et que les sénateurs suivent de près ces préoccupations, le gouvernement n’y porte aucune attention. Comment expliquer tout cela?

D’une part, nous avons la ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Marie-Claude Bibeau, qui était ici aujourd’hui, qui fait des déclarations comme celle-ci :

Je tiens à rassurer tous nos agriculteurs et propriétaires d’entreprises agroalimentaires que notre gouvernement reconnaît à quel point ils sont essentiels à nos communautés. Nous sommes là pour les aider à traverser cette crise.

D’autre part, ces belles paroles ne se traduisent jamais en actions concrètes.

Que sont censés en conclure les agriculteurs?

Si le gouvernement était à tout le moins cohérent dans sa façon de traiter les Canadiens, peut-être que nous pourrions conclure qu’il fait de son mieux. Or, il est loin d’être cohérent.

Il fait fi des besoins et des préoccupations de l’industrie agricole tout en envoyant de l’argent sans discernement aux personnes qui n’y sont même pas admissibles.

Je suis certain que vous avez tous vu le grand titre du National Post, dont nous avons parlé ce matin : « “Pas d’arrêt de paiement” : les fonctionnaires fédéraux chargés de traiter les demandes de Prestation canadienne d’urgence et d’assurance-emploi reçoivent l’ordre de fermer les yeux sur l’abus ».

C’était le titre de l’article du National Post.

Il semblerait que les employés d’Emploi et Développement social Canada et de Service Canada auraient reçu une note de service disant ceci :

À compter de maintenant, dans le traitement des demandes, si un agent relève des informations qui semblent indiquer une fraude possible du système d’assurance-emploi par un client, un employeur ou un tiers, il ne doit pas imposer un arrêt de paiement ni transmettre la demande aux Services d’intégrité, à moins qu’il considère que la situation nécessite d’entreprendre une enquête urgente.

La raison est que la Direction des Services d’intégrité a suspendu toutes les enquêtes qui ne sont pas urgentes. En plus de la suspension des Séances d’information à l’intention des prestataires, des rencontres en personne et des visites sur place, la Direction a suspendu toutes les activités des Opérations d’intégrité relatives à la conformité et à l’application du programme d’assurance-emploi.

Je trouve cela incroyable. Comment peut-on d’une main refuser aux agriculteurs canadiens l’aide dont ils ont désespérément besoin et, de l’autre, balancer de l’argent par les fenêtres pour des gens qui n’y ont même pas droit? Et il n’y a même pas de mécanisme permettant de récupérer cet argent.

Comment peut-on fermer les yeux face à des demandes visiblement frauduleuses et insister pour que l’argent soit tout de même versé, puis tourner le dos de façon cavalière au secteur agricole alors qu’il a des besoins financiers critiques?

Cela en dit long sur l’attitude déplorable du gouvernement face au secteur agricole et sur l’incompétence dont il fait preuve dans la gestion de la pandémie.

Chers collègues, en terminant, permettez-moi de dire ceci : j’ai été troublé d’apprendre que le Bureau du vérificateur général a été contraint de suspendre la plupart de ses travaux en raison d’un manque de financement.

Permettez-moi de citer un article paru sur i Politics.

Le vérificateur général du Canada déclare qu’un manque de financement ne lui a laissé d’autre choix que de retarder la plupart des travaux de vérification, puisque la pandémie de la COVID-19 exerce de nouvelles pressions sur son bureau, qui est déjà en manque de ressources.

Le vérificateur général intérimaire, Sylvain Ricard, a déclaré mardi au Comité des finances de la Chambre des communes que son bureau a dû interrompre toutes les vérifications, à l’exception de trois.

Nous pourrions peut-être interroger la candidate à ce sujet un peu plus tard.

Honorables sénateurs, c’est incroyable et inacceptable. Au moment où le gouvernement dépense des sommes record et où le premier ministre se vante d’avoir présenté « les mesures économiques les plus importantes de notre époque », la seule chose pour laquelle il semble incapable de trouver de l’argent est le bureau responsable de lui demander des comptes sur ses dépenses.

Cela ne vous paraît-il pas plutôt curieux?

D’abord, le premier ministre ne veut pas que le Parlement siège trop souvent pour ne pas qu’on pose trop de questions. Ensuite, il refuse de financer le Bureau du vérificateur général pour que celui-ci puisse faire son travail de chien de garde des dépenses publiques.

Chers collègues, je dois avouer que le gouvernement fournit tous les éléments nécessaires à une bonne théorie du complot. Comme vous, je reçois d’innombrables courriels de la part de gens qui sont convaincus que le gouvernement participe à une sorte d’infâme complot et qu’il travaille en catimini, dans les coulisses, pour mettre en place les composantes de son programme secret.

Eh bien, permettez-moi d’en douter. Non pas parce que je suis persuadé d’avoir débusqué les intentions du premier ministre, mais bien car je suis presque certain que toute conspiration réussie nécessite un certain degré de compétence. Ce n’est manifestement pas le cas du gouvernement.

Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont entendu à la Chambre des communes hier — ou peut-être était-ce avant-hier — le député Pierre Poilievre poser au ministre des Finances une série de questions fondamentales sur l’état des finances du pays. La première question était la suivante : Quelle est la valeur en dollars des actifs totaux du gouvernement du Canada?

La deuxième question était : Quel est le total des passifs du gouvernement du Canada?

La troisième question était : Je sais que nous ne devrions pas interroger le ministre sur les chiffres. Il n’est que le ministre des Finances, après tout, mais à combien s’élèvent les capitaux dans le bilan financier du gouvernement du Canada?

La quatrième question était : Le ministre peut-il, s’il connaît ces chiffres, nous dire s’il est possible que son gouvernement atteigne un endettement de 1 billion de dollars cette année?

La dernière question était : À combien s’élève notre dette nationale actuelle?

Chers collègues, le ministre des Finances n’a pas su répondre à une seule de ces questions. Pas une seule. Par conséquent, soit il n’a pas voulu répondre, ce qui est honteux dans le contexte actuel, où on ne le voit qu’une seule fois par semaine au Parlement, soit il est incompétent s’il ne le sait pas.

Chers collègues, imaginez un instant être propriétaire d’entreprise. Vous faites venir votre chef des opérations à votre bureau pour lui demander quel est le bilan financier de l’entreprise, et il ne sait pas quoi répondre. Comment réagiriez-vous? Vous le congédieriez.

Lorsque le ministre des Finances ne semble pas connaître les données fondamentales des finances du pays, on sait que le gouvernement en place est incompétent.

Chers collègues, aujourd’hui, le caucus conservateur appuiera l’adoption du projet de loi C-16 à l’unanimité, et non avec dissidence, car les producteurs laitiers et leur industrie ont besoin de cette aide en cette période critique. Toutefois, nous ne pouvons pas et nous n’allons pas sanctionner l’indifférence dont le gouvernement fait preuve à l’endroit du secteur agricole.

J’invite tous les sénateurs à se joindre à moi pour exhorter le gouvernement non seulement à reconnaître que le secteur agricole fournit des services essentiels, mais aussi à en faire la preuve en accordant le soutien et les services dont ce secteur a besoin au cours de cette période difficile. Je vous remercie.

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