Discours du Sénateur Plett sur la Loi sur les mesures d'urgence

Honorables sénateurs, j’interviens aussi dans le débat sur la motion de ratification de la déclaration de situation de crise que le gouvernement a présentée.

Je tiens d’abord à dire, honorables sénateurs, que le Parti conservateur du Canada défend la loi et l’ordre. C’est ce qu’il a toujours fait et c’est ce qu’il continuera de faire.

Je me réjouis — comme vous tous, sans doute — que les barrages aient été démantelés de manière assez pacifique et sans trop de dommages matériels. Je félicite les forces policières de leur excellent travail et je remercie la vaste majorité des manifestants de la retenue dont ils ont fait preuve. Nous pouvons tous pousser un soupir de soulagement maintenant que c’est terminé.

Cela dit, on nous demande maintenant de nous prononcer sur une motion du gouvernement. Je suis d’accord avec la plupart des juristes, des constitutionnalistes, des provinces et des observateurs canadiens et étrangers : le gouvernement Trudeau n’a pas réussi à défendre son recours à la Loi sur les mesures d’urgence. De plus, les mesures qu’il a prises ne sont ni justifiées, ni mesurées, ni nécessaires.

Par ailleurs, même si la déclaration de situation de crise était justifiée et les mesures, pertinentes, la condition dont je viens de parler — l’état d’urgence — ne s’applique plus. C’est pour cette raison, et pour d’autres que je vais expliquer, que j’ai l’intention de voter contre la motion du sénateur Gold.

Avant de dire pourquoi nous ne devrions pas, selon moi, appuyer cette motion, j’aimerais revenir un peu en arrière pour rappeler pourquoi nous en sommes là.

La COVID-19, honorables sénateurs, a été très difficile pour tout le monde. Le virus a eu des effets terribles sur notre santé et notre bien-être. On n’insistera jamais assez sur la douleur et la souffrance vécues par certains.

Pour combattre le virus, les autorités du pays ont pris une série de mesures sanitaires visant à prévenir les morts inutiles. Et même si je considère que ces mesures ont été prises de bonne foi, nous sommes encore loin de savoir avec certitude si elles étaient pondérées, réfléchies et efficaces.

Ce qui fait l’unanimité, en revanche, c’est l’effet qu’elles ont eu sur les Canadiens. Trop souvent, les personnes aimées mouraient, et mouraient seules. Qu’il s’agisse des grands-parents avec leurs petits-enfants, des enfants d’âge adulte avec leurs parents, des frères et sœurs entre eux ou d’autres personnes, certaines familles ont été séparées durant des mois, et parfois même pendant plus d’un an.

Nous avons tous nos histoires personnelles à raconter, et moi aussi. Pendant près d’un an, j’ai fait des signes de la main à ma mère, au deuxième étage de sa résidence. Aujourd’hui, je peux aller la voir. J’irai justement en fin de semaine, et j’ai très hâte.

Nous ne pouvions plus voir nos amis, chers collègues. Nous ne pouvions plus aller au restaurant ou assister aux matchs de nos équipes favorites. Les cérémonies visant à marquer la fin du secondaire ont perdu leur signification, car même si de nombreux bals de finissants ont eu lieu en ligne, les élèves n’ont jamais pu participer à la fête dont ils rêvaient depuis 12 ans.

Des mariages ont été reportés et, lorsqu’ils ont lieu, seule une poignée de personnes ont pu être présentes pour les célébrer. Les funérailles, ces adieux définitifs, ont été réservées à la famille immédiate et, même dans ce cas, le nombre de personnes était souvent limité.

Des entreprises ont été fermées. Les provinces ont été en confinement. Des revenus ont été perdus. Ceux qui se situent dans la moitié inférieure de la fourchette des salaires se sont endettés. Maintenant, l’inflation ronge le pouvoir d’achat qui nous reste.

Lorsque les vaccins sont devenus disponibles, des millions de Canadiens ont fait la queue et ont retroussé leur manche. À ce jour, plus de 80 millions de vaccins ont été administrés dans tout le pays et plus de 30 millions de personnes ont reçu deux doses de vaccin. C’est fantastique, chers collègues. Avec plus de 90 % de sa population adulte ayant reçu au moins deux doses de vaccin, le Canada affiche l’un des taux de vaccination les plus élevés au monde.

Mais, à 90 %, cela signifie que 10 % ne sont toujours pas vaccinés. Ne pas se faire vacciner est rarement un choix pour ceux qui demeurent non vaccinés. Pour ces personnes, cette décision est souvent motivée par des croyances profondément ancrées. Je serai le premier à admettre que certaines de ces croyances relèvent carrément du camp des complotistes, mais pas toujours, loin de là.

Parfois, c’est une question de croyances religieuses. Parfois, on se méfie des figures d’autorité. Parfois, c’est pour des raisons médicales. Parfois, la réticence vient de connaissances qui ont éprouvé de graves effets secondaires après la vaccination. Et la liste est encore bien longue. Mais peu importe ce que vous pensez de ces raisons, elles sont toujours ancrées dans des convictions profondes. Bafouer ces convictions et croyances serait malavisé.

Chers collègues, j’ai reçu trois doses de vaccins et je suis donc pleinement vacciné. J’invite d’ailleurs tout le monde à faire de même. Cela dit, je trouve extrêmement choquant d’obliger les gens à se faire vacciner, puis de les pénaliser s’ils refusent. Je trouve préoccupant que le pays ait adopté si aisément un tel degré de coercition.

L’idée que nous puissions pousser les gens à se faire vacciner à force de cajoleries et de mesures coercitives, voire d’intimidation, n’est pas seulement déplorable, mais aussi dangereuse. Elle nourrit l’utopie d’une société canadienne homogène. C’est absurde. Elle ne l’a jamais été.

Nous devons accepter que, en ce XXIe siècle, avec la présence d’Internet et l’omniprésence des médias sociaux, nous ne pourrons jamais avoir une approche universelle par rapport à bon nombre de choses au pays, ce qui signifie que nous devons nous efforcer de protéger les droits de la population à la liberté de conscience, de religion, d’association, de croyance et, j’ajouterais, de vaccination.

Autrement, notre seule option est de recourir à un totalitarisme toujours plus affirmé où les gens sont progressivement forcés à se conformer à des choses qu’ils désapprouvent. Chers collègues, non seulement il serait tragique d’en arriver là, mais le pays s’en trouverait déchiré.

Pourtant, c’est exactement ce que nous devrions faire selon le premier ministre. Il croit que tout le monde devrait être vacciné et que ceux qui ne le sont pas devraient être méprisés, humiliés et punis. Justin Trudeau est frustré depuis les élections de 2019. Le fait de former seulement un gouvernement minoritaire et de terminer derrière ceux qu’il considère comme d’indignes opposants conservateurs au vote populaire l’a d’abord déprimé, puis l’a mis en colère. Ensuite, la pandémie est arrivée. Il a dépensé des centaines de milliards de dollars. Il a dit aux Canadiens qu’ils pouvaient compter sur lui au moins mille fois. Comme il pensait qu’il méritait d’être récompensé pour avoir dépensé l’argent des autres, notre argent, il a déclenché avec désinvolture des élections inutiles en pleine pandémie.

Après les deux premières semaines de la campagne électorale, l’alarme a commencé à sonner dans la salle de contrôle des libéraux. Les Canadiens se montraient ingrats envers leur chef et les libéraux risquaient de perdre au profit de ces damnés conservateurs. Ils se sont alors tournés vers le bon vieux manuel libéral pour trouver une solution : diviser le Parti conservateur du Canada. Trouver un bouc émissaire quelque part et se présenter comme les opposants à ce concept. Ils ont essayé l’avortement pour la énième fois, mais ça n’a pas fonctionné. Ensuite, ils ont trouvé un groupe avec lequel se mettre en opposition : les non-vaccinés. Les politiques du gouvernement, d’abord basées sur des données scientifiques dans l’objectif de réduire la transmission du virus, sont devenues des tentatives parfois subtiles et parfois évidentes de punir les personnes non vaccinées. Le gouvernement a décidé de diviser les Canadiens simplement pour obtenir des gains politiques. À un certain point, il a franchi la ligne entre des mesures limitées, efficaces et raisonnables et des mesures qui ne visent qu’un petit groupe de personnes dans le but de faire basculer les sondages en sa faveur.

Les Canadiens en avaient assez de la pandémie et des restrictions, et ils ont déversé leur colère sur les gens non vaccinés. Le gouvernement Trudeau s’est fait un plaisir d’en rajouter. Si on se penche sur l’histoire, on voit que les gens ont toujours essayé de trouver un bouc émissaire, qu’il s’agisse des étrangers ou des minorités religieuses; maintenant, avec la pandémie de COVID-19, ce sont les personnes non vaccinées.

Le député libéral Joël Lightbound a souligné cette situation il y a quelques semaines lorsqu’il a ouvertement critiqué l’approche du premier ministre en disant ceci :

[...] [L]e ton et les politiques du gouvernement ont changé de façon draconienne juste avant et pendant la dernière campagne électorale [...] On a décidé de semer la division et de stigmatiser les gens. Je crains que cette politisation de la pandémie finisse par miner la confiance de la population à l’égard des institutions de santé publique.

Il a tout à fait raison, chers collègues. Le gouvernement Trudeau devrait avoir honte de se servir, à des fins politiques, des quelque 2 millions de Canadiens adultes qui ont choisi de ne pas se faire vacciner. Au lieu d’essayer de les convaincre de se faire vacciner, Justin Trudeau a tenté de les insulter, comme si cela allait contribuer à faire grimper le taux de vaccination. Nombre d’entre nous peuvent être en désaccord avec ces gens et désapprouver leurs revendications, mais ce n’est pas une raison pour vilipender des concitoyens.

Il faut néanmoins souligner que malgré toutes les mesures sanitaires et les exigences relatives à la vaccination, la goutte qui a fait déborder le vase est la décision du gouvernement fédéral de rendre la vaccination obligatoire pour les camionneurs qui traversent la frontière des États-Unis, puis sa menace d’imposer la même mesure aux frontières provinciales. Même s’il ne pouvait fournir aucune donnée scientifique pour appuyer sa décision, le gouvernement n’en a pas démordu.

Ironiquement, les camionneurs sont devenus la cible du gouvernement. Or, c’est le travail de ces mêmes camionneurs que le premier ministre avait applaudi dans les premiers jours de la pandémie, comme en témoigne ce gazouillis :

Alors que plusieurs d’entre nous travaillent de la maison, d’autres n’en sont pas capables, comme les camionneurs qui travaillent jour et nuit pour s’assurer que nos étagères sont bien remplies. Si vous en avez la chance, dites-leur merci et aidez-les comme vous le pouvez.

Ce gazouillis, chers collègues, a été publié le 31 mars 2020, il y a moins de deux ans. Chers collègues, l’instrumentalisation crasse de cette affaire à des fins politiques devrait tous nous inquiéter.

Les camionneurs sont des hommes et des femmes qui travaillent fort, pour qui la ligne a été franchie lorsque le gouvernement a décidé que toutes les mesures prises depuis les deux dernières années n’étaient pas suffisantes. Ce même gouvernement s’apprêtait en outre à imposer des mesures sans fondement scientifique.

Les camionneurs, qui passent leur journée seuls dans leur véhicule, sont soudainement devenus une menace pour la santé publique s’ils n’étaient pas vaccinés. Or, lorsqu’on a demandé au gouvernement de fournir les données scientifiques justifiant cette décision qui allait priver encore plus de gens de leur gagne-pain, le gouvernement n’en avait aucune.

Honorables sénateurs, ces hommes et ces femmes ont quitté leur maison et ont conduit jusqu’à Ottawa non pas pour participer à une insurrection, mais bien à une manifestation contre une intervention excessive du gouvernement qui devient endémique.

Au début, ils n’étaient que quelques camionneurs à prendre la route et ils espéraient recueillir quelques milliers de dollars pour couvrir une partie de leurs dépenses. Toutefois, le convoi a tôt fait de s’étirer sur des kilomètres, et les dons ont atteint des millions de dollars. À chaque collectivité, plus de gens se joignaient au convoi. Dans toutes les villes sur leur chemin, les participants étaient acclamés. Des gens brandissaient le drapeau canadien et exprimaient leur reconnaissance en s’entassant sur chaque viaduc au moment du passage des camionneurs. Aux intersections dans les villes et même longtemps après leur départ, des gens se stationnaient sur le côté de la rue pour les acclamer et les remercier.

Après deux ans de souffrance, l’espoir était en train de renaître. Les camionneurs rassemblaient notre pays. Une des choses à comprendre est que le « convoi de la liberté » d’Ottawa en 2022 est né de nulle part. Les médias n’ont cessé de répéter qu’il n’y avait pas de leader unique ni de programme défini. Comme cela se produit toujours avec les mouvements populaires, les gens se sont ralliés au mouvement pour des raisons très diverses. Il est aussi indéniable que certains éléments très malfaisants leur ont emboîté le pas.

Il n’en fallait pas plus pour que le premier ministre et son caucus décrètent que les camionneurs et les millions de Canadiens qui les encourageaient étaient de mauvaises gens. La façon dont le premier ministre les a décrits — racistes, misogynes, insurgés et minorité marginale — était déplorable. Il les a dépeints comme de dangereux individus, potentiellement violents et éventuellement terroristes. Il a dit qu’ils avaient tous des opinions inacceptables. « Comment pouvons-nous tolérer ces gens? » a-t-il demandé. C’est à peine croyable. Le premier ministre du Canada s’exprime à la télévision à propos de millions de citoyens et s’exclame « Comment pouvons-nous tolérer ces gens? ».

Oui, on trouvait dans ce mouvement des idiots faisant preuve de racisme. Personne dans cette enceinte ne devrait tolérer l’étalage de symboles racistes, mais on se fourvoierait grandement en mettant tout le monde dans le même panier, soit tous ceux qui ont participé aux manifestations, tous ceux qui ont applaudi le convoi sur la route, tous ceux qui ont admiré le courage des camionneurs et demandé la levée des exigences vaccinales. Quelqu’un dans cette enceinte — n’importe qui — peut-il m’expliquer pourquoi le propre frère de Jagmeet Singh aurait versé un don de 17 000 $ à un mouvement raciste d’extrême droite? Je ne pense pas que ce soit le cas.

En effet, certains manifestants défendaient des théories bizarres, mais si vous pensez que tous les habitants d’Ottawa et les Canadiens qui en ont assez de l’approche autoritaire de Trudeau portent un entonnoir sur la tête, c’est que vous êtes vous aussi devenu un adepte des théories complotistes.

Bien entendu, des incidents se sont produits entre des manifestants et des résidants d’Ottawa, mais si on considère la manifestation comme violente, c’est que l’on a oublié des dizaines d’autres situations qui ont eu lieu au cours des 25 dernières années, notamment quelques émeutes suivant des événements aussi hautement politisés que les séries éliminatoires de la coupe Stanley. Bien entendu, on a parlé de l’expulsion du premier ministre, sans qu’il y ait toutefois de complot crédible d’insurrection. Ceux qui voudraient renverser le gouvernement ne viendraient pas ici avec leur propre camion arborant le nom de leur entreprise en annonçant leur arrivée dans tous les médias sociaux, puis en passant trois semaines devant le Parlement à se prélasser dans un spa ou à préparer un méchoui. Ils ne transformeraient pas le coin de rue se trouvant juste au-dessous du bureau du premier ministre en « boîte de nuit la plus courue à Ottawa », comme des journalistes l’ont rapporté.

Le convoi des camionneurs a représenté l’espoir d’une solution pour des millions de Canadiens, qui en avaient assez d’être mis de côté et qui voulaient que leur message soit entendu.

Chers collègues, vous et moi retournons chaque semaine dans nos collectivités et y entendons des gens qui en ont assez que le gouvernement dise « Que pouvons-nous faire? ». Les gens se sentent impuissants. Si l’on commence à les priver de leurs droits fondamentaux, leur sentiment d’impuissance se transforme en désespoir. Les gens finissent par en avoir assez de se faire contrôler et finissent par tenter d’y échapper.

Voici la réponse que le premier ministre leur a donnée le 31 janvier :

[...] les préoccupations exprimées par quelques personnes rassemblées à Ottawa en ce moment n’ont rien de nouveau ni de surprenant. Nous les avons entendues. Toutefois, elles perpétuent malheureusement la désinformation qui se propage en ligne, comme des théories du complot au sujet de puces électroniques ou Dieu sait quelle autre idée paranoïaque.

Ces personnes sont venues pour exprimer leurs préoccupations. Or, tout ce qu’a fait le premier ministre, c’est les insulter. Il a préféré faire de l’intimidation que d’agir d’une manière digne d’un véritable homme d’État.

Cela fait partie du problème avec lequel nous sommes aux prises. Nous n’avons pas fait un bon travail pour écouter la voix de ceux qui ont une opinion différente de la nôtre en matière de vaccination et relativement aux mesures de santé publique les plus restrictives.

L’objet principal du débat n’est pas de déterminer si ces mesures sont une bonne ou une mauvaise idée. C’est plutôt de déterminer si les gens ont le droit d’avoir des opinions différentes, pour quelque raison que ce soit, sans être censurés; s’ils peuvent vivre leur vie selon leurs valeurs et croyances, même si elles sont différentes de la norme sociale. Les gens ont des opinions et des croyances qui ne correspondent pas toujours à la version de la réalité prônée par Radio-Canada. Or, s’ils les expriment, ils se font critiquer et ostraciser.

Honorables collègues, nous devons faire mieux. Nous devons améliorer notre capacité d’écoute. Nous devons tolérer davantage les croyances différentes. C’est le prix que nous devons payer pour vivre dans une société civilisée au XXIe siècle. Tenter d’imposer le conformisme ne fait que détruire notre tissu social, et il pourrait falloir plusieurs générations pour réparer les dommages causés.

C’est en partie pourquoi il est si désolant que le premier ministre n’ait même pas voulu parler aux participants du convoi. Son impertinence n’a fait que les convaincre davantage qu’il ne se souciait pas d’eux. Tout ce qui compte pour lui, c’est qu’ils obéissent à ses décrets.

C’est à cause de cette impertinence que le convoi à Ottawa a inspiré d’autres convois dans des villes partout au pays, puis l’érection de barrages à Coutts, en Alberta, à Emerson, au Manitoba, à Surrey, en Colombie-Britannique; et sur le pont Ambassador, en Ontario. Si le premier ministre avait désamorcé la situation en entamant un dialogue avec les participants du convoi initial, la situation serait fort différente aujourd’hui.

Certains disent que le premier ministre ne pouvait pas rencontrer les dirigeants du convoi, que ces personnes étaient dangereuses et avaient des idées farfelues. Peut-être. Mais Justin Trudeau aurait pu demander à un tiers d’agir comme médiateur pour écouter les préoccupations des manifestants. Tout comme Robert Bourassa l’a fait en 1990 en désignant le juge Alan B. Gold, le père du leader du gouvernement au Sénat, comme médiateur dans la crise d’Oka. Il aurait pu faire ce que des premiers ministres provinciaux comme François Legault, Doug Ford, Scott Moe ou Jason Kenney ont fait : dire aux Canadiens qu’il les a entendus. Nous dire qu’il avait un plan pour mettre fin aux mesures obligatoires liées à la COVID-19 et autres restrictions. Nous dire qu’il y avait de l’espoir.

Au lieu de cela, l’approche du premier ministre a été de dénigrer les manifestants et de les mettre tous dans le même panier.

Le 31 janvier, le premier ministre a déclaré, à propos de la manifestation d’Ottawa :

[…] Nous ne sommes pas intimidés par ceux qui profèrent des insultes aux travailleurs des petites entreprises ou qui volent la nourriture des sans-abri. Nous ne céderons pas à ceux qui arborent des drapeaux racistes. Nous ne céderons pas à ceux qui se livrent au vandalisme ou qui déshonorent la mémoire de nos anciens combattants.

Comme je l’ai déjà fait remarquer, ce n’est pas une description juste des gens qui sont venus manifester devant la Chambre. Pourtant, il n’a jamais modéré ses propos. Le premier ministre a préféré se livrer à la politicaillerie plutôt que de se conduire en homme d’État.

La semaine dernière, en réponse à une question de la députée conservatrice Melissa Lantsman, le premier ministre a déclaré :

[...] les députés conservateurs peuvent s’afficher aux côtés de gens qui arborent la croix gammée et qui brandissent le drapeau confédéré. De notre côté, nous préférons défendre les intérêts des Canadiens qui méritent de pouvoir se rendre au travail et de reprendre une vie normale. Ces manifestations illégales doivent cesser, et elles vont cesser.

À l’évidence, dire une telle chose à une députée juive était ironique et tout à fait pathétique de la part du premier ministre. On a demandé à plusieurs reprises à Justin Trudeau de s’excuser, mais il a refusé de le faire. Il est prêt à s’excuser pour des événements survenus il y a 100 ans, mais pas pour ce qu’il a lui-même dit. Pendant trois semaines, le premier ministre s’est contenté d’insulter les gens. Il a même quitté la ville et laissé la crise s’envenimer et dégénérer.

Il est censé être le premier ministre de tous les Canadiens, même ceux qui sont en désaccord avec lui. À l’évidence, il ne voit pas les choses de cet œil, et le résultat est qu’il prend des décisions qui divisent énormément les Canadiens. Puis, après trois semaines d’inaction, Justin Trudeau est apparu et il s’est servi de l’outil le plus puissant de son arsenal, l’arme nucléaire des lois, la Loi sur les mesures d’urgence.

Il est difficile de nier que le premier ministre est en guerre ouverte contre bon nombre de ses concitoyens, comme certains l’en accusent. Au lieu de chercher à comprendre les préoccupations des gens et l’incidence des mesures prises par son gouvernement, le premier ministre recourt à tous les pouvoirs à sa disposition pour les écraser. Il s’est servi des vastes pouvoirs que confère la Loi sur les mesures d’urgence pour museler des gens qui ne demandaient qu’à se faire entendre.

L’actuel premier ministre n’apprécie guère l’opposition. Il admire la dictature chinoise. Il n’écoute pas; il prêche. Il ne débat pas; il insulte. Il ne convainc pas; il impose.

Voici où cette attitude nous a menés : nous sommes maintenant saisis d’une motion visant à confirmer que le gouvernement peut continuer à appliquer — pendant encore trois semaines environ — les mesures qu’il a invoquées la semaine dernière.

Chers collègues, je partage l’avis du sénateur Dalphond, qui a déclaré dans son intervention que nous ne votons pas pour établir si la Loi sur les mesures d’urgence a été utile depuis le 14 février. Nous ne nous prononçons pas non plus pour établir si cette loi serait utile advenant un événement imprévu dans un avenir rapproché. En fait, le gouvernement nous demande plutôt, compte tenu de la situation actuelle, si nous estimons que ces mesures exceptionnelles doivent rester en place jusqu’au 16 mars.

Cette déclaration de l’état d’urgence est sans précédent. C’est la première fois qu’on applique la Loi sur les mesures d’urgence au Canada, la première fois depuis plus de 50 ans qu’on utilise ce type de loi au Canada, et seulement la troisième fois dans l’histoire canadienne. Il est essentiel de tenir compte de ces faits au moment de prendre notre décision à l’égard de la motion à l’étude.

En invoquant la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement soutient en fait que les événements dont nous avons été témoins sur la rue Wellington et d’autres rues adjacentes à Ottawa ont constitué la pire situation de crise à laquelle notre pays a fait face au cours des 34 dernières années.

Le gouvernement dit également que cette situation de crise nécessite l’utilisation de cette loi extraordinaire. Il dit que les pouvoirs ordinaires de l’État canadien ne permettent pas de faire face à quelques milliers de manifestants et quelques centaines de camions et de semi-remorques. Ce sont des affirmations extraordinaires, chers collègues.

Rappelons-nous les nombreuses situations d’urgence que le Canada a connues depuis 1988 et pour lesquelles la Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été invoquée. J’ai déjà parlé de la crise d’Oka, en 1990. L’affrontement armé avait alors duré 78 jours. Un policier avait été tué. La fermeture d’une infrastructure essentielle, le pont Honoré-Mercier, a obligé bien des gens à faire jusqu’à quatre heures de route chaque jour pour se rendre au travail. L’armée avait alors été déployée parce que l’ampleur de la situation dépassait la capacité d’intervention de la police. Or, la Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été invoquée.

Il y a eu aussi les attentats du 11 septembre contre l’Amérique du Nord. Ces attentats avaient entraîné l’interruption de tous les vols aériens en Amérique du Nord. On craignait alors beaucoup un nouvel attentat terroriste dans le secteur du transport aérien ou ailleurs. La Loi sur les mesures d’urgence n’a toutefois pas été invoquée.

Le 22 octobre 2014, un homme armé a fait irruption dans l’édifice du Centre. Pendant plusieurs heures, personne ne savait s’il agissait seul. L’opération policière avait alors duré 12 heures. La Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été invoquée.

En 2001, 50 000 personnes ont envahi la ville de Québec pendant le Sommet des Amériques, et des actes de violence ont eu lieu sans arrêt pendant quatre jours. En 2010, lors du Sommet du G7, plus de 1 000 personnes ont été arrêtées après que plus de 10 000 manifestants eurent causé des émeutes dans le centre-ville de Toronto. En 2012, pendant le printemps érable au Québec, les services de police ont dû gérer 1 370 manifestations, et certaines se sont terminées par de violents affrontements et des arrestations massives. Aucun de ces événements n’a justifié le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Depuis 16 ans, chers collègues, il y a un affrontement pour des terres à Caledonia, en Ontario. Des gens ont été forcés de quitter leur maison, des routes et des corridors de transport ont été bloqués, et la situation n’est toujours pas réglée. Le maire du comté d’Haldimand, Ken Hewitt, a déclaré ceci plus tôt au cours du mois :

Nous avons connu la violence, l’intimidation, nos routes ont été bloquées [...] on pourrait croire que le gouvernement fédéral aurait réagi, mais non. Il n’a rien fait.

On n’a jamais eu recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour régler cette situation, même temporairement, et même pas pendant les pires moments de cet affrontement.

Depuis 1988, les barrages routiers, ferroviaires et de pipelines ont été nombreux — et souvent longs —, ont parfois eu lieu à plusieurs endroits en même temps, par toutes sortes de groupes et pour toutes sortes de raisons. Pourtant, on n’a jamais eu recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

La Loi sur les mesures d’urgence englobe également les sinistres, comme les incendies, les inondations et autres catastrophes naturelles. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, combien d’incendies, d’inondations et de tempêtes le Canada a-t-il connus? Dans combien de cas peut-on dire qu’il s’agissait d’une situation de crise comportant le risque de pertes humaines et matérielles, de bouleversements sociaux ou d’une interruption de l’acheminement des denrées, ressources et services essentiels, telle que définie dans la loi? Combien de fois la Loi sur les mesures d’urgence a-t-elle été invoquée? La réponse, chers collègues, est : jamais.

La Loi sur les mesures d’urgence n’a même pas été utilisée pendant l’actuelle pandémie mondiale de COVID-19. Nous devons y réfléchir. La crise sanitaire actuelle dure maintenant depuis deux ans. Il y a certainement eu des occasions où la capacité du gouvernement à intervenir efficacement semblait être remise en question. Pourtant, aucun recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’a été nécessaire. Cela va au cœur des raisons pour lesquelles la loi n’a jamais été invoquée au Canada auparavant. Elle n’a pas été invoquée parce que les pouvoirs normaux des organismes d’application de la loi du Canada sont suffisants pour surmonter des défis comme celui que nous voyons et les critères juridiques qu’il faut satisfaire pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence sont assez exigeants.

Depuis 1988, tous les politiciens estiment que le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités disposent de suffisamment de pouvoirs et de ressources pour régler l’ensemble des problèmes et des crises qu’ils affrontent. À lui seul, ce fait illustre à quel point les gouvernements disposent de ressources et de pouvoirs importants. Il n’est pas facile d’aller au-delà de ces pouvoirs et de ces ressources. Toutefois, nous devons maintenant croire que ce qui se déroule à l’extérieur du Sénat constitue une menace si grave que nos forces de sécurité sont submergées. Le gouvernement soutient qu’il s’agit d’une urgence d’une telle ampleur que les outils normaux dont la police et les gouvernements disposent sont tout simplement inadéquats pour contrer la menace. Quelle est la menace qui pèse sur nous actuellement et qui justifie une prolongation de l’état d’urgence au moins jusqu’au milieu du mois prochain?

En me rendant au bureau cette semaine, je n’ai croisé aucun manifestant. Aucun. Pourtant, le gouvernement prétend qu’il y a toujours un état d’urgence extraordinaire. Il prétend essentiellement que nous vivons en ce moment une situation sans précédent. Il a probablement raison. Une manifestation qui ne rassemble au total aucun manifestant et qui est tellement dangereuse qu’elle constitue une menace pour la sécurité nationale est certainement une situation sans précédent et extraordinaire.

Chers collègues, ce n’est pas pour rien que tous les gouvernements depuis 1988 ont refusé de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence : une fois le génie sorti de la lampe, bien malin celui qui arrivera à l’y renvoyer. J’ai l’intime conviction que, si le Sénat adopte la motion du gouvernement, les soi-disant progressistes, quand ils verront de futurs gouvernements employer des mesures draconiennes ancrées dans la loi contre des mouvements qu’ils appuient, pleureront le jour où les députés libéraux et néo-démocrates et leurs alliés au Sénat auront créé un précédent le justifiant.

Je crois que la sénatrice Pate y a en quelque sorte fait allusion dans son discours ou ses questions à l’intention du sénateur Tannas. Pensez ce que vous voulez du convoi et de ses sympathisants. En permettant au gouvernement de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence, ce groupe a maintenant établi un seuil bien bas pour son application future.

Permettez-moi de passer au point suivant, soit les modalités de la loi. La question que nous devons nous poser est la suivante : est-ce que le gouvernement a satisfait aux critères définis dans la Loi sur les mesures d’urgence? Je ne crois pas que la preuve confirme l’argument du gouvernement voulant que l’invocation de la Loi s’imposait. Il est utile de consulter la définition d’un état d’urgence dans la loi.

Voici ce que l’on peut y lire :

état d’urgence Situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale.

Premièrement, pour qu’il y ait état d’urgence, il doit y avoir des « menaces envers la sécurité du Canada ». Le sens de menaces est défini à l’article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visant à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La loi précise ensuite que cette définition ne vise pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités décrites juste avant.

À première vue, si les sénateurs veulent bien se rappeler ce qui s’est passé à l’extérieur du Parlement et ailleurs au pays, je vois mal comment nous pourrions affirmer de manière crédible que ces activités constituent des menaces soutenues contre la sécurité, dans le sens où le définissent les lois.

Tous les Canadiens vaquent à leurs activités quotidiennes. Il n’y a pas de menace ni d’activité sérieusement susceptible de correspondre à cette définition.

Un autre point concerne la définition de crise nationale énoncée à l’article 3 de la Loi sur les mesures d’urgence.

Aux termes de la loi, une crise nationale est :

[...] un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire [...] qui, selon le cas :

a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;

b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.

Par ailleurs, la loi précise qu’il doit s’agir d’une crise à laquelle « il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ».

Je le répète, je ne vois vraiment pas comment nous pourrions considérer que la situation actuelle met sérieusement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens, et ce, dans des proportions telles qu’une province ne peut pas la gérer.

S’il y a une menace à la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays, je ne la vois pas.

Il ne fait aucun doute que si l’on tient compte du libellé de la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement n’a pas satisfait aux critères établis pour invoquer cette loi.

Depuis le 14 février, le premier ministre et les membres de son Cabinet ont présenté une liste d’arguments pour justifier la déclaration d’état d’urgence, y compris la déclaration elle-même. Évaluons un peu chacun de ces arguments.

Premièrement, le premier ministre a dit que les mesures ne s’appliquaient qu’à des domaines ciblés. Cette affirmation était fausse, comme on le sait, et elle a été corrigée par l’un des ministres.

D’après le gouvernement, la situation d’urgence est d’envergure nationale. Dans les faits, quand la déclaration a été faite, les seules barricades qui étaient toujours en place étaient celles du centre-ville d’Ottawa. Je sais qu’il s’agit de la capitale du pays, mais un problème qui ne touche qu’Ottawa n’est pas d’envergure nationale. Le gouvernement aurait pu restreindre l’application des mesures à l’Ontario ou à la région de la capitale nationale. Il a choisi de ne pas le faire, pour une raison inconnue.

Le gouvernement soutient qu’il a besoin de la Loi sur les mesures d’urgence pour coordonner les interventions avec les provinces. Eh bien, comme on le sait, sept des provinces ont dit non à l’utilisation de la loi. Le paragraphe 19(3) de la loi dit qu’il faut viser à une concertation aussi poussée que possible avec chaque province concernée. De toute évidence, le gouvernement a échoué sur ce point.

La déclaration dit qu’il y a des blocages continus à différents endroits au Canada. Comme nous le savons tous, à l’heure actuelle, il n’y a aucun barrage au Canada. Cet argument n’est plus valide.

Selon le gouvernement, les barrages :

[...] ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada.

Le gouvernement n’a jamais fourni une quelconque preuve de cet argument. Souvenez-vous que la saisie à Coutts a été faite avant cette déclaration du gouvernement. Cette saisie était un événement isolé. De plus, contrairement à ce que le gouvernement nous a fait croire, il n’y avait aucun groupe violent dans la manifestation à Ottawa. Il y a eu de la bousculade aux premières lignes la fin de semaine dernière, mais il n’y a eu aucun signe de groupe violent organisé.

Le gouvernement affirme que les barrages ont des « effets néfastes sur l’économie canadienne » et d’importants « effets néfastes [...] sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis ».

Je ne sais pas pour vous, mais je ne pense pas que cela était vrai une fois que le seul barrage qui restait était celui du centre-ville d’Ottawa, et c’est encore moins vrai maintenant que les barrages ont été levés.

De plus, le gouvernement a prétendu que la rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels se perpétuerait, car les blocages continueraient et augmenteraient en nombre. Nous savons maintenant que cela n’importe plus.

On dit que l’urgence comporte :

[...] le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens.

Encore une fois, nous n’avons vu aucune preuve de cela. On ne peut pas invoquer la Loi sur les mesures d’urgence en se basant sur des théories du complot au sujet d’une supposée armée secrète de militants d’extrême droite dont nous entendons souvent parler, mais que nous ne voyons jamais à l’œuvre.

Soyons sérieux. Le gouvernement ne peut pas suspendre les droits de la population en se fondant sur des rumeurs et des fabulations propagées par les gens qui l’appuient.

Lorsqu’un camion rempli d’armes à feu a été volé à Peterborough, la semaine dernière, la twittosphère libérale a aussitôt avancé que c’était la preuve qu’on était sur le point d’assister à coup d’État armé. Or, lorsqu’on a récupéré le camion ainsi que toutes les armes à feu, personne n’a dit un mot.

Quoi qu’il en soit, je me demande ce qui posait vraiment problème à Ottawa. Le premier ministre lui-même est allé à la Chambre à plusieurs occasions, sauf vendredi dernier, les deux Chambres du Parlement ont fonctionné normalement, et il n’y a pas eu de violence.

Le Parti conservateur du Canada a même réussi à changer de chef pendant qu’il y avait encore un barrage. Encore une fois, à part vendredi dernier, la GRC et le Service de protection parlementaire n’ont jamais dit aux députés et aux sénateurs qu’il y avait le moindre danger.

L’autre semaine, j’ai marché à plusieurs reprises parmi les manifestants pour me rendre de l’édifice du Sénat du Canada jusqu’à l’édifice de l’Ouest afin de participer à des réunions. Croyez-vous sérieusement que nos services de sécurité auraient permis cela s’ils avaient eu des preuves que des gens aussi violents se trouvaient à proximité?

Lorsque le premier ministre a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, il a affirmé : « À l’évidence, les forces de l’ordre ne disposent pas des moyens nécessaires pour appliquer efficacement la loi. »

Nous savons maintenant que c’était faux. Selon le ministre Mendicino, la police avait besoin des pouvoirs que le gouvernement Trudeau lui a accordés pour définir une zone sécuritaire, ou une « zone rouge », comme le ministre l’a appelée. Il est courant pour tous les services de police du Canada de diriger la circulation et de limiter les déplacements des gens. Dans le cas précis des manifestations menées par les camionneurs, la police a réussi à limiter leurs déplacements et à imposer des restrictions à Québec, à Toronto, à Winnipeg, à Regina, à Saskatoon, à Edmonton, à Calgary, à Vancouver et dans d’autres villes. Tout cela avant même l’application de la Loi sur les mesures d’urgence.

Selon le ministre Lametti, des pouvoirs d’urgence sont requis pour réquisitionner des dépanneuses. Voilà la première chose que le premier ministre a mentionnée quand on lui a demandé quels étaient les pouvoirs nécessaires accordés à la police dans le cadre de la déclaration d’état d’urgence.

Le problème, c’est que l’on aurait pu se servir du Code criminel pour y arriver. Franchement, je n’arrive pas à m’imaginer que les gouvernements de l’Ontario et du Canada doivent se servir des mesures extraordinaires de la Loi sur les mesures d’urgence pour réquisitionner cinq ou six dépanneuses. Si c’est le cas, il faut se questionner sur la fragilité de nos gouvernements.

Le gouvernement affirme que la police a besoin des mesures d’urgence pour pouvoir coordonner les opérations entre les différentes administrations. Je suis sûr que vous conviendrez qu’au cours des 34 dernières années, nous avons connu plusieurs opérations policières qui ont touché différentes administrations. Aucune n’a nécessité le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Le gouvernement insiste sur le fait qu’il doit geler les actifs financiers des manifestants et de quiconque a participé au financement des barrages et que seules les mesures adoptées la semaine dernière lui permettent de le faire. C’est le même gouvernement qui prétend avoir tous les outils nécessaires pour combattre les groupes terroristes internationaux et nationaux, le crime organisé et autres activités de blanchiment d’argent. Dans ce contexte, il voudrait nous faire croire qu’il est nécessaire d’invoquer des mesures spéciales pour le convoi des camionneurs? Laissez-moi vous dire que je n’en crois pas un mot.

Le gouvernement n’est pas parvenu à faire valoir ses arguments sur deux points. Il n’a pas réussi à expliquer pourquoi il est absolument nécessaire de geler, sans ordonnance d’un tribunal, les avoirs de certains de ses citoyens pour mettre fin à un barrage à Ottawa. Il n’a pas pu expliquer non plus pourquoi les outils employés contre des organisations beaucoup plus grandes et plus beaucoup dangereuses ne sont pas suffisants maintenant pour traiter avec des gens qui, visiblement, ne sont pas des experts dans le domaine.

Le gouvernement véhicule l’idée voulant que le mouvement soit financé par des forces étrangères malveillantes. Je cite le ministre Blair :

Nous ne laisserons pas des entités étrangères tenter de causer du tort au Canada, ou des Canadiens, éroder la confiance envers les institutions démocratiques ou mettre en question la légitimité de la démocratie au pays.

Il a ajouté :

Nous avons des preuves solides que les individus qui ont érigé des barrages à nos points d’entrée dans le cadre d’une attaque financée en grande partie par l’étranger, ciblée et coordonnée, avaient manifestement l’intention criminelle de causer du tort au Canada et aux Canadiens et d’entraver des voies d’approvisionnement cruciales, de paralyser nos travailleurs et de fermer nos usines.

Pourtant, le gouvernement n’a pas prouvé ces allégations. Les barrages ont été enlevés. Tous les indices portent à penser que tout cela n’est rien d’autre qu’une théorie du complot inventée par un ministre.

Je trouve passablement ironique de voir le gouvernement libéral se préoccuper du financement étranger et de la menace d’une attaque par une puissance étrangère contre notre démocratie.

Des groupes environnementaux américains ont envoyé des millions de dollars à des mouvements au Canada — lesquels sont tous férocement anti-conservateurs — et l’implication de la Chine dans les dernières élections fédérales a coûté au Parti conservateur de quatre à sept circonscriptions au profit des libéraux, mais la question devient soudainement problématique parce que les fonds étrangers pourraient maintenant favoriser l’autre côté de l’échiquier politique.

Le gouvernement a aussi prétendu que les barrages étaient organisés par des extrémistes :

Nous parlons d’un groupe qui est organisé, souple, bien informé et motivé par une idéologie extrémiste où règne la loi du plus fort.

C’est ce qu’a dit le ministre Mendicino.

Pour soutenir cette affirmation, le gouvernement s’est principalement appuyé sur un seul incident : les accusations de complot en vue de commettre un meurtre qui ont été déposées contre quatre individus en Alberta. Le gouvernement fait valoir que ces accusations indiquent que des individus potentiellement violents participent aux manifestations.

Il s’agit certainement de graves accusations. Personne ne dira le contraire. Je pense que nous sommes tous reconnaissants du fait que les services de police ont pu agir de façon décisive pour gérer une situation qui aurait pu être très dangereuse. Cependant, nous n’avons encore vu aucune preuve, ni même des affirmations crédibles, selon lesquelles ces individus avaient quelque chose à voir avec la grande majorité des manifestants pacifiques qui sont venus ici ces dernières semaines ou qui étaient présents au poste frontalier en question, en Alberta.

En fait, voici comment un article de La Presse canadienne décrit l’interaction entre les policiers et les manifestants le jour même où les arrestations ont été effectuées.

Il y a eu des célébrations quand la manifestation a commencé à se terminer lundi en fin de journée. Une vidéo diffusée sur les médias sociaux montre des membres de la GRC serrant la main de manifestants et les étreignant. Des gens avec leur chapeau ou la main sur la poitrine ou les bras sur les épaules des uns et des autres chantaient l’Ô Canada

Une fois que les organisateurs de la manifestation à Coutts ont appris que leur manifestation pacifique avait été infiltrée par une faction violente, ils ont rapidement décidé de se disperser.

Cela ne semble pas suggérer que la vaste majorité des participants au blocage du poste frontalier de Coutts était impliquée dans des complots pour renverser violemment le gouvernement constitutionnellement établi.

Le gouvernement affirme aussi que la police ne disposait pas des outils nécessaires pour régler la situation. Cet argument serait risible si les conséquences du recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’étaient pas si graves.

Plus tôt, j’ai parlé de nombreux événements qui sont survenus au Canada au cours des 34 dernières années, événements qui étaient tous bien plus graves et menaçants que l’érection de barrages par des camionneurs à Ottawa. Nos courageux policiers ont réglé ces incidents sans que la Loi sur les mesures d’urgence ait à être invoquée. Chris Lewis, ancien commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, soutient que la police avait tous les outils dont elle avait besoin pour agir, et qu’il n’était donc pas nécessaire d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.

Pendant tout ce temps, les libéraux n’ont cessé de répéter que la Charte des droits et libertés s’applique encore, donc où est le problème? Je sais fort bien ce qui est inscrit dans cette loi, mais comment le gouvernement peut-il sérieusement prétendre que l’ensemble des droits des Canadiens ne sont pas menacés par les mesures qu’il a prises la semaine passée? La saisie de biens sans ordonnance du tribunal constitue une violation flagrante de l’article 8 de la Charte; et les restrictions du droit de réunion vont à l’encontre de l’article 2.

Je ne vais pas faire une plaidoirie ici; certaines contestations sont déjà devant les tribunaux. Je voudrais juste vous demander de ne pas croire que les droits de la Charte sont protégés, sous prétexte que c’est le gouvernement qui l’affirme.

Les sénateurs noteront que le ministre de la Justice a refusé que son ministère remette l’évaluation relative à la Charte. Il a refusé de transmettre les avis juridiques préparés par le ministère de la Justice. J’espère que certains sénateurs ont demandé au ministre Lametti de s’expliquer à ce sujet lors de la séance d’information qu’ils ont eue avec lui l’autre soir.

La semaine dernière, le Service de police d’Ottawa a publié un gazouillis disant qu’ils n’autoriseraient personne à passer pour exercer une activité illicite comme celle de participer à des manifestations.

Il est clair que la police n’a pas reçu les notes du gouvernement, qui affirme que les droits des citoyens n’ont pas été suspendus. Il est maintenant illicite de manifester dans la capitale du Canada. Si vous ne deviez vous appuyer que sur une seule raison pour voter contre la motion, c’est bien celle-là.

Enfin, on nous dit que les Canadiens doivent faire confiance au gouvernement, que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’est qu’affaire courante, « il n’y a rien à voir ici, circulez ». Sérieusement, je n’arrive pas à croire que le gouvernement tente de minimiser l’importance du recours, pour la première fois en 34 ans, à la Loi sur les mesures d’urgence pour gérer le blocage du centre‑ville d’Ottawa.

Vous remarquerez que le premier ministre n’a pas fait son annonce à la Chambre des communes ni dans le cadre d’un discours officiel à la nation. Non, une simple conférence de presse suffit pour annoncer que les droits de ces concitoyens sont maintenant suspendus.

Chers collègues, il est évident que le gouvernement n’a pas prouvé que les critères justifiant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence ont été satisfaits.

J’estime que le gouvernement se trompe royalement en minimisant l’importance du recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Sénateurs, si nous acceptons la position du gouvernement, nous normaliserons et banaliserons le recours à ces pouvoirs extraordinaires.

L’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par le premier ministre est une tentative désespérée de sa part pour sauver son emploi, et cela se retourne maintenant contre lui. Il est évident qu’aucune de ces mesures n’était nécessaire pour dégager les rues d’Ottawa de tous ces camions.

Chers collègues, lorsque la motion sera mise aux voix, pensez à ceci : vous allez créer un précédent. La barre sera très basse pour les prochains gouvernements qui voudront invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Votre décision aura des répercussions bien longtemps après que vous, Justin Trudeau et moi aurons quitté la scène politique.

Je n’entends pas aborder en détail les mesures mises en œuvre par le gouvernement, mais je vais parler de celles qui me dérangent particulièrement.

D’abord, le gouvernement a mis en place des mesures pour étrangler financièrement les manifestants et ceux qui les soutiennent. Pensez à ce que cela implique, chers collègues. Les pouvoirs conférés par le décret comprennent la possibilité de geler, sans mandat, les comptes financiers de toute personne soupçonnée — il n’est pas nécessaire d’en avoir la preuve — d’avoir participé aux manifestations ou de les avoir soutenues.

Cette mesure a déjà amené des Canadiens à retirer les fonds de leurs comptes d’institutions financières. Il y a eu une augmentation des retraits, et certains experts pensent qu’il pourrait y avoir des effets à court et long terme sur la confiance des Canadiens envers le système financier canadien.

Il y a beaucoup d’incertitude quant à la possibilité que le compte bancaire d’une personne qui a donné 20 $ à la campagne sur GoFundMe soit soudainement gelé. Le gouvernement a refusé à maintes reprises de rassurer les milliers de Canadiens qui ont défendu une cause qui était alors parfaitement légale et légitime. Comment le gouvernement peut-il rétroactivement déclarer qu’une cause n’est plus défendable et que quiconque participe ou contribue à sa défense peut faire l’objet d’un gel d’actifs financiers?

Je n’arrive pas à comprendre que quiconque puisse trouver cela acceptable dans un pays comme le Canada. Le gouvernement dit aux Canadiens « Faites-nous confiance. Nous n’utiliserons pas ces mesures pour pénaliser les gens ordinaires. » Cependant, du même souffle, les libéraux font valoir le principe selon lequel tout acte entraîne des conséquences.

Que signifie ce discours? Si le gouvernement voulait vraiment inclure des dispositions de sauvegarde dans ces mesures exceptionnelles, il les aurait inscrites dans le règlement. Or, en restant volontairement vague à cet égard, il fait exactement ce qui lui convient : il fait peur aux dissidents et fait taire ceux qui ne partagent pas ses vues, notamment les gens qui ont donné 20 $ à une cause que le premier ministre estime inacceptable.

Si par erreur votre compte bancaire est gelé parce que vous portez le même nom qu’un manifestant je vous souhaite bonne chance, mes amis. La loi prévoit une protection pour les institutions bancaires, mais pour demander une indemnisation qui n’a même pas encore été prévue, les gens ordinaires devront faire la file, remplir un formulaire qui sera disponible on ne sait trop quand.

Je trouve consternant de voir les députés libéraux et néo‑démocrates applaudir une loi qui donne aux grandes banques — le NPD qui soutient les grandes banques — le pouvoir de saisir des fonds sans ordonnance du tribunal tout en bénéficiant de l’immunité contre toute action en justice ultérieure.

De plus, comment une banque peut-elle savoir si une personne est impliquée dans un barrage? Lors de la séance d’information à l’intention des parlementaires, les fonctionnaires n’avaient pas de réponse. La police peut-elle prendre en note les numéros de plaque et les envoyer aux banques pour leur demander de fermer les comptes? Il n’y a pas de préavis ou d’ordonnance du tribunal, il y a juste un policier qui prend en note un numéro et — pouf — un compte bancaire est gelé. Ce n’est pas ainsi que devrait fonctionner le système bancaire d’un pays où règnent l’ordre et la primauté du droit. Je serais également curieux de savoir comment cet échange d’information est acceptable en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Bien franchement, les avocats des résidants d’Ottawa et du gouvernement de l’Ontario ont déjà atteint les objectifs que le gouvernement Trudeau prétend avoir rendus possibles avec ces mesures. Je me demande si les recours judiciaires habituels, comme les injonctions conservatoires et les ordonnances de blocage, sont déployés avec succès pour geler les fonds. Pourquoi les pouvoirs extraordinaires de gel de comptes qui sont accordés par la Loi sur les mesures d’urgence sont-ils nécessaires?

Le gouvernement fédéral doit demander l’autorisation d’un tribunal avant de saisir les actifs financiers d’un trafiquant de drogue ou de membres d’une organisation criminelle ou terroriste, mais il se donne le pouvoir de saisir, sans aucun contrôle judiciaire, les comptes bancaires de personnes accusées uniquement de méfaits. Le gouvernement n’a fourni aucune explication crédible sur la raison pour laquelle il avait besoin de ces outils sans précédent et potentiellement dangereux, pour reprendre les paroles de notre collègue le sénateur Gignac.

Le fait que le gouvernement a adopté délibérément un libellé vague pour les règles entourant la saisie d’actifs financiers, probablement pour se donner une marge de manœuvre, est très dangereux. Nous savons tous que le système financier repose sur la confiance des Canadiens. Les banques ne survivraient pas si une grande partie de leurs clients décidaient de retirer l’argent de leurs comptes. Cependant, en restant vague au sujet des personnes qui peuvent se faire saisir leurs comptes et des motifs de ces saisies, le gouvernement a permis à toutes sortes d’histoires et de rumeurs de continuer à circuler.

Voici ce qu’a déclaré la ministre Freeland lundi dernier :

[...] [L]es personnes qui craignent que leurs comptes aient pu être gelés parce qu’elles participent à l’occupation et aux blocages illégaux doivent savoir que c’est en cessant d’y participer qu’elles pourront faire débloquer leurs comptes.

Pourtant, il n’y avait plus de blocage lundi. Où la vice-première ministre veut-elle en venir?

Parlons aussi des règles financières. Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada a été créé pour lutter contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Le gouvernement s’en sert maintenant pour contrer les groupes dont le premier ministre juge les idées inacceptables. Comment le Sénat peut-il accepter cela? Honorables sénateurs, nous devons prendre conscience de la brèche que nous ouvrirons si nous votons en faveur de cette mesure. Un jour, un gouvernement considérera cette décision comme un précédent l’autorisant à militariser les infrastructures de sécurité pour contrer les idées auxquelles il s’oppose.

La semaine dernière, Evan Solomon a demandé au ministre de la Justice jusqu’où le gouvernement comptait aller avec ces mesures. Le ministre, qui est censé défendre les droits des Canadiens, lui a alors répondu ceci :

Si vous êtes membre d’un mouvement pro-Trump qui donne des centaines de milliers de dollars ou des millions de dollars pour ce genre de chose, alors vous devriez être inquiets.

Je vous le demande encore, honorables sénateurs : que faut-il en conclure? Le ministre est-il en train de nous dire qu’il s’en prendra aux actifs de quiconque ne partage pas son aversion pour l’ancien président des États-Unis? Il est très troublant que le ministre de la Justice du Canada puisse ainsi menacer ses compatriotes. C’est profondément inquiétant. Il n’a pas non plus cru nécessaire de se rétracter depuis.

Le député Joël Lightbound nous avait justement mis en garde contre ce genre de politique de division, qui vient de la bouche même du soi-disant ministre de la Justice. Cette fonction s’est vraiment dégradée depuis l’époque de la ministre Jody Wilson-Raybould.

Le règlement permet aussi aux policiers et à d’autres organismes d’application de la loi de faire annuler la police d’assurance d’une personne si on croit qu’elle participe à des manifestations illégales ou qu’elle les appuie. Il reste encore beaucoup de questions sans réponse concernant cette mesure. Comment la compagnie d’assurance ou l’institution financière d’une personne est-elle censée savoir que celle-ci participe à une manifestation en particulier? Va-t-elle se fier à la parole des policiers qui patrouillent dans la zone protégée et les environs et relèvent les numéros des plaques d’immatriculation? Lorsque la police d’assurance est annulée, comment la personne visée pourra-t-elle déplacer son véhicule? A-t-on aussi annulé les assurances des personnes qui ont déplacé leur véhicule avant l’intervention des policiers, cette semaine?

Nous sommes en terrain juridique inconnu, et il n’y a tout simplement pas de réponse à bien des questions en ce moment. Ce qu’on sait, toutefois, c’est qu’on exercera ces pouvoirs sans mandat et que les possibilités d’appel demeurent très vagues.

Le règlement accorde aussi aux autorités le pouvoir d’interdire toute assemblée publique susceptible, de l’avis des policiers, d’avoir pour effet de troubler la paix. Une fois de plus, on accorde aux policiers un incroyable pouvoir discrétionnaire. Comme je l’ai dit, le Service de police d’Ottawa considère maintenant que toute manifestation est illégale.

Manifestement, le règlement n’est ni raisonnable, ni proportionnel, ni nécessaire.

Le seuil à atteindre pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence est délibérément élevé puisque, à l’époque de sa rédaction, on estimait que la loi antérieure, soit la Loi sur les mesures de guerre, avait été mal utilisée et que les erreurs et les ingérences commises lors de l’application de cette loi devaient être corrigées.

La Loi sur les mesures de guerre n’a été invoquée que trois fois. Pas deux fois, comme l’a dit plus tôt aujourd’hui la sénatrice Coyle, mais bien trois fois. C’était d’abord en raison des Première et Deuxième Guerres mondiales. Lors de ces deux guerres, des mesures discutables ont été adoptées, y compris l’internement des Canadiens d’origine japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale.

En temps de paix, la loi n’a été invoquée qu’une seule fois, par le père du premier ministre actuel, durant la crise d’Octobre de 1970. Cette dernière application de la Loi sur les mesures de guerre demeure controversée à ce jour. Pour beaucoup de gens, elle représente un abus de pouvoir inacceptable et sans précédent en réaction à ce qui était, nous le savons aujourd’hui, un très petit groupe d’éléments radicaux, certes violent, mais peu structuré, au Québec.

Avec le recul, nous savons que ce groupe était bien loin de bénéficier d’un soutien généralisé, comme le craignaient beaucoup de gens à l’époque.

Pourtant, on a invoqué la Loi sur les mesures de guerre, procédé à quelque 500 arrestations, et la majorité des personnes visées n’avait absolument rien à voir avec le FLQ.

À l’époque, en octobre 1970, Tommy Douglas s’était opposé au recours à la Loi sur les mesures de guerre en temps de paix. S’adressant au Parlement, il avait déclaré :

Nous sommes prêts à permettre au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des vies humaines et de maintenir l’ordre et la paix dans le pays. Toutefois, [...] nous ne sommes pas prêts à accepter qu’on utilise la préservation de l’ordre et de la paix comme un écran de fumée pour détruire les libertés et les droits du peuple canadien.

Il a comparé le recours à la Loi sur les mesures de guerre à l’utilisation d’une masse pour écraser une cacahuète. Je pense que l’histoire a permis de juger que les propos de M. Douglas à l’époque étaient sages et prudents. Je pense que l’histoire jugera aussi les décisions de Jagmeet Singh, mais sans en arriver aux mêmes conclusions.

Je sais que le Parti conservateur du Canada de l’époque avait appuyé le recours à la Loi sur les mesures de guerre. Le chef, Robert Stanfield, avait donné le bénéfice du doute au gouvernement Trudeau. C’est une décision qu’il a regrettée plus tard, soulignant qu’il avait été exagéré de soutenir le recours à la Loi sur les mesures de guerre en 1970. Deux ans après ces jours sombres, M. Stanfield a dit qu’il était alors convaincu que la situation aurait pu être réglée avec des moyens moins draconiens. Il a reconnu que la Loi sur les mesures de guerre n’aurait jamais dû être appliquée. Il a avoué qu’avoir appuyé le gouvernement sur cette question avait été le plus grand regret de sa carrière politique, durant laquelle il a été premier ministre de la Nouvelle-Écosse et chef de l’opposition officielle.

Plus de 50 ans plus tard, nous en avons appris beaucoup à propos de la crise d’Octobre. Il est maintenant clair que les motifs invoqués par le gouvernement Trudeau pour justifier l’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre ne s’appuyaient pas sur des données probantes. Certains provenaient directement de l’imagination de membres du gouvernement. Ils ont exagéré la menace, ont inventé des conspirations visant à renverser le gouvernement et ont soutenu que des milliers de terroristes imaginaires se cachaient. On pourrait comprendre que certains voient une ressemblance avec les événements dont nous sommes actuellement témoins.

L’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre a engendré du ressentiment dans de nombreux segments de la population au Québec et a vraisemblablement renforcé le nationalisme et le soutien à la souveraineté au Québec. Seulement six années plus tard, honorables sénateurs, la province de Québec a élu un gouvernement séparatiste. Plutôt que d’aider, cette loi a nui à l’unité nationale et a fait en sorte que certains Québécois se sentent « moins canadiens ». Si la loi n’avait pas été invoquée, les libertés civiles de centaines, voire de milliers de personnes, n’auraient pas été violées, et le ressentiment qui a suivi, qui a eu d’importantes répercussions politiques, aurait pu être évité.

Je sais que la Loi sur les mesures d’urgence est différente de la Loi sur les mesures de guerre. Cela dit, un premier ministre élu au Québec et portant le nom de « Trudeau » aurait dû être conscient du symbolisme historique qui serait attaché au recours à la Loi sur les mesures d’urgence, puisqu’elle a succédé à une loi qui, lorsqu’elle a été invoquée en 1970, a terriblement traumatisé les Québécois. Il est irresponsable de jouer avec un outil aussi explosif simplement pour sauver sa carrière politique. Un tel geste montre, une fois de plus, que Justin Trudeau est prêt, par opportunisme politique, à se servir de symboles dangereux pour semer la division parmi les Canadiens. L’histoire n’a pas été tendre quand elle a jugé l’abus de pouvoir et les atteintes aux libertés civiles qu’a commis le père en invoquant la Loi sur les mesures de guerre, et elle ne sera pas tendre envers le fils quand elle jugera son recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Je suis loin d’être le seul à soutenir qu’il s’agit d’un geste exagéré, surtout dans un contexte où rien ne démontre que les critères à satisfaire pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence ont effectivement été satisfaits. Voici ce qu’a dit Noa Mendelsohn Aviv, directrice générale de l’Association canadienne des libertés civiles :

[La Loi sur les mesures d’urgence] crée une norme élevée et claire pour une bonne raison : la loi permet au gouvernement de contourner les processus démocratiques ordinaires. Cette norme n’a pas été respectée.

Faisant écho aux propos tenus par Tommy Douglas il y a plus de 50 ans, l’Association canadienne des libertés civiles ajoute :

La législation d’urgence ne devrait pas être normalisée. [Elle] menace notre démocratie et nos libertés civiles.

Voici maintenant ce que dit Aaron Wudrick, avocat à l’Institut Macdonald-Laurier :

Cette loi est réservée aux moments où aucune autre option ne peut être envisagée pour juguler une crise.

[...] jusqu’à ce qu’il décide d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement fédéral — mais on pourrait en dire autant des autorités provinciales et municipales — n’a pas fait grand-chose pour tenter de disperser les manifestants qui se trouvaient à Ottawa. Il est donc mal placé pour affirmer qu’aucune autre option ne s’offrait à lui.

Leah West, qui est professeure adjointe en affaires internationales et en droit de la sécurité nationale à l’Université Carleton, a déclaré ceci :

Les critères à remplir pour invoquer la loi sont très stricts, et je doute sérieusement qu’ils aient été atteints [...]

Il faut d’abord miser sur les lois et les règlements existants et les appliquer comme il se doit, et il est là, le problème [...]

Selon le professeur Ryan Alford, la loi :

[...] peut seulement être activée si aucune autre loi ne permet de protéger adéquatement la sécurité des Canadiens et l’intégrité territoriale du Canada. Le fait que cinq premiers ministres provinciaux ne jugent pas nécessaire sa mise en vigueur nous fait nous demander, avant même de chercher à savoir si les critères juridiques énoncés dans le texte sont remplis, si la promulgation de l’état d’urgence était rationnellement justifiée.

Le professeur Patrick Taillon de l’Université Laval a déclaré que le gouvernement n’a pas réussi à prouver que les mesures extraordinaires n’étaient nécessaires qu’à la troisième semaine de la crise. Il nous rappelle que le gouvernement doit faire la preuve que ces mesures d’urgence sont non seulement utiles, mais aussi qu’elles sont absolument nécessaires ou indispensables pour dénouer la crise.

La semaine dernière, notre ancien collègue, l’honorable André Pratte a écrit :

Malgré les efforts du gouvernement libéral pour brosser un tableau très dramatique des événements actuels, il devient évident que nous n’avons pas affaire à une « urgence nationale », telle que définie dans la Loi sur les mesures d’urgence.

Il y a certainement des juristes pour s’opposer à ces arguments. Mais, manifestement, la grande majorité se demande sérieusement si ce que le gouvernement fait est légal ou constitutionnel.

De la Chine à l’Iran, les dictatures du monde entier critiquent le Canada pour son recours à des mesures d’urgence extraordinaires. L’Inde a souligné l’hypocrisie du premier ministre Trudeau, qui a déclaré l’an dernier qu’il appuyait les manifestations des agriculteurs en Inde et a fustigé le gouvernement indien pour avoir utilisé la force afin de réprimer les manifestations.

Des journaux de partout dans le monde, comme ils ne font pas partie de la bulle d’Ottawa et ne prennent pas les discours du gouvernement comme parole d’évangile, ont vu le geste maladroit du premier ministre pour ce qu’il était : une ingérence inutile et dangereuse. Le New York Times, le Wall Street Journal, le Financial Times et The Economist font partie de la longue liste de médias qui n’arrivent pas à comprendre pourquoi le gouvernement canadien aurait besoin de recourir à des mesures si extraordinaires simplement pour faire lever des barricades sur trois ou quatre rues à Ottawa. N’oubliez pas que les Américains ne comprenaient pas pourquoi il nous a fallu autant de temps pour libérer le pont Ambassador et ont offert d’envoyer les forces de l’ordre américaines pour nous venir en aide. Encore une fois, la réputation du Canada comme pays champion des droits de la personne se fait démolir par l’incompétence de Justin Trudeau.

Il ne faut pas oublier que, lorsqu’il invoque la loi, le gouvernement doit consulter chaque province où les effets de l’état d’urgence s’appliquent. Comme je l’ai déjà dit, le gouvernement a décidé que les mesures d’urgence auraient une portée nationale et non limitée à une zone précise. Sept des premiers ministres provinciaux ont exprimé leur désaccord quant à la nécessité de cette mesure, mais le gouvernement a tout de même invoqué la loi en visant le pays en entier malgré l’absence manifeste de consensus.

L’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une motion dénonçant l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence. Le premier ministre Jason Kenney a annoncé la semaine dernière que l’Alberta comptait contester l’invocation de la loi devant les tribunaux.

Lorsque Tommy Douglas a parlé avec éloquence de la Loi sur les mesures de guerre, en 1970, il a dit que personne ne remettait en question l’obligation du gouvernement de maintenir l’ordre et d’utiliser les pouvoirs habituels qui sont à sa disposition.

Personne n’a remis cela en question en 1970, et personne ne remet en question le droit du gouvernement de recourir à ces pouvoirs aujourd’hui.

Cependant, dans ce cas-ci, ce que nous devons contester, comme certains députés l’ont fait en 1970, c’est l’idée selon laquelle le gouvernement aurait besoin de pouvoirs exceptionnels pour dénouer cette crise.

Ce que je crains, c’est que l’actuel premier ministre commette une erreur encore plus grave que celle de son père.

Le professeur Ryan Alford, de la Faculté de droit Bora Laskin de l’Université Lakehead, a dit ceci :

Il est inconcevable que le premier ministre du Canada réponde aux manifestants qui se plaignent des violations des libertés civiles en prenant des mesures qui sont probablement inconstitutionnelles et qui avaient précédemment été décrites comme telles par des organisations de défense de libertés civiles et des spécialistes en la matière.

Ce qui me préoccupe plus particulièrement, c’est que, du côté ministériel, peu de gens semblent poser ce genre de questions ou songer aux conséquences à long terme du recours à des pouvoirs gouvernementaux qui vont beaucoup trop loin.

La question est donc de savoir comment nous devrions réagir en tant que sénateurs. Nous devons rejeter la motion du gouvernement.

Le paragraphe 58(7) de la Loi dit ceci :

En cas de rejet de la motion de ratification de la déclaration par une des chambres du Parlement, la déclaration, sous réserve de sa cessation d’effet ou de son abrogation antérieure, est abrogée à compter de la date du vote de rejet et l’autre chambre n’a pas à intervenir sur la motion.

En rejetant la motion, le Sénat jouera son vrai rôle. Nous mettrons ainsi un terme aux mesures d’urgence. Bien entendu, cela ne se fera pas de façon rétroactive. Comme le sénateur Dalphond l’a dit, à juste titre, toutes les accusations portées jusqu’à maintenant demeureront, mais l’intervention excessive du gouvernement cessera.

Nous devons rejeter la motion pour diverses raisons. D’abord, je dirais que tous les sénateurs doivent se rappeler qu’en utilisant cette loi de cette façon, le gouvernement a créé un précédent. Il nous incombe maintenant de décider si cela place la barre correctement quant à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence.

Nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais nous pouvons indiquer aux futurs gouvernements ce qu’ils doivent démontrer avant d’utiliser cette loi.

Le prochain groupe de manifestants pourrait très bien avoir des demandes différentes. Ce pourrait être des Autochtones, des environnementalistes ou des partisans du mouvement Black Lives Matter. Le sénateur Gold l’a admis en répondant aux questions. Tous les groupes, y compris ceux que je viens de nommer, pourraient maintenant être ciblés par le gouvernement fédéral.

Chers collègues, lorsque les femmes se sont battues pour obtenir le droit de vote, il y a de cela de nombreuses années, elles ont commis des actes de désobéissance civile et organisé des manifestations. Il y a une statue, chers collègues, à l’entrée du Sénat, qui commémore les Célèbres cinq. Il est douloureux de penser qu’au titre de la Loi sur les mesures d’urgence, ces femmes n’auraient pas pu venir à Ottawa pour défendre leurs idées comme elles l’ont fait il y a environ un siècle.

Si nous soutenons la motion du gouvernement, nous créerons un précédent, en 2022, quant à l’emploi de la Loi sur les mesures d’urgence. Nous aurons à vivre avec cela.

Le Sénat a l’occasion de prendre un peu de recul et de dire aux gouvernements futurs que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence exige d’autres justifications que les désagréments causés par des barrages à un seul emplacement au Canada.

Rappelons-nous aussi que nous votons sur la motion en fonction des preuves dont nous disposons et de l’état de la situation au moment du vote. On ne nous demande pas si le gouvernement avait raison en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence. Ce point sera élucidé par un comité mixte de parlementaires, par l’enquête que le gouvernement doit lancer et par les tribunaux.

Le sénateur Cotter a soulevé une préoccupation dans sa question au sénateur Tannas, ce matin, lorsqu’il a dit :

Le problème avec le fait de voter non [...] c’est qu’il est impossible de savoir si nous envoyons un message selon lequel l’urgence n’aurait jamais dû être déclarée ou s’il était légitime de la déclarer, mais qu’elle devrait être annulée maintenant.

Chers collègues, avec tout le respect que je vous dois, la Loi sur les mesures d’urgence indique clairement ce sur quoi nous devrons nous prononcer. Ce n’est pas un exercice de communications. Notre tâche relève de la surveillance parlementaire. On ne nous demande pas d’envoyer un message, mais d’étudier la motion dont nous sommes saisis et de répondre aux questions suivantes. Les raisons évoquées dans la déclaration sont-elles valides? Les mesures adoptées par le gouvernement sont-elles toujours raisonnables, proportionnelles et nécessaires compte tenu de la situation au moment du vote, chers collègues?

On a mis fin au dernier barrage à Ottawa la fin de semaine dernière. Hier, on nous a informés que des gens voyaient leurs comptes bancaires être dégelés. De toute évidence, l’état d’urgence est terminé, et les mesures d’urgence ne sont plus nécessaires, si elles l’ont déjà été.

Vendredi dernier, avant que les forces policières procèdent au démantèlement du barrage d’Ottawa, on pouvait lire ce qui suit dans le Globe and Mail :

Des gens raisonnables peuvent ne pas s’entendre sur la pertinence d’appliquer la Loi sur les mesures d’urgence, et toute la gamme d’outils juridiques que le gouvernement a ensuite établis, il y a sept jours. Toutefois, peu importe la force des arguments à ce moment-là, les circonstances actuelles, qui se sont améliorées, les affaiblissent considérablement.

Imaginez à quel point l’argumentaire du gouvernement est faible maintenant que tout est rentré dans l’ordre.

Le Sénat doit voter non à la motion parce que le gouvernement n’a pas démontré que l’utilisation de la loi est justifiée sur le plan juridique, que le seuil établi pour le recours à la Loi sur les mesures d’urgence a été atteint.

Il doit voter non à la motion parce que, même si ce seuil avait été atteint, les mesures adoptées par le gouvernement ne sont pas raisonnables, proportionnelles ou nécessaires.

Il doit voter non à la motion parce que l’invocation de cette loi nuit à l’unité nationale et pourrait aviver les divisions qui existent déjà au pays.

Il doit voter non à la motion parce que, autrement, la barre pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence sera si basse que cette dernière deviendra juste un autre outil que le gouvernement peut utiliser régulièrement.

Il doit voter non à la motion parce que notre rôle consiste à protéger les droits des minorités, même si nous ne partageons pas leurs croyances. Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence est une attaque frontale contre les droits des Canadiens.

Or, chers collègues, si nous croyons sincèrement qu’un Canadien est toujours un Canadien, nous devons empêcher maintenant le gouvernement de priver déraisonnablement certains Canadiens de leurs droits. « Je désapprouve ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », a dit Evelyn Beatrice Hall, résumant ainsi la philosophie de Voltaire, une philosophie à laquelle devraient adhérer toutes les personnes qui croient à la liberté d’expression.

Pour finir, le Sénat doit voter contre cette motion, car les sénateurs ont le devoir de défendre les droits des provinces au Parlement, et que les provinces ne sont clairement pas en faveur du recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Chers collègues, notre pays est aujourd’hui très divisé. Nous devons tenter de rétablir l’unité nationale. Le premier ministre devrait rester à l’écoute des Canadiens. Chers sénateurs, s’il est une question pour laquelle nous devons mettre de côté nos partis pris et nos affiliations politiques, c’est bien celle-là. Comme l’a dit le sénateur Housakos au début de son discours — qui est probablement un des discours les plus importants qu’il ait donné en 13 ans — ce vote passera à l’histoire.

Assurément, dans cette Chambre, nous ne devrions pas voter pour des motions susceptibles d’attiser les antagonismes. C’est ce dont j’ai bien peur si nous votons en faveur de cette motion.

Je vous implore tous de ne pas tomber dans ce piège. J’espère que tous les sénateurs voteront contre cette motion. Merci.

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